Page:Lebel - Les amours de W Benjamin, 1931.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
LES AMOURS DE W. BENJAMIN

— Ce sont de beaux arbres, en vérité, répondit Tonnerre.

— Eh bien ! s’ils te plaisent tant que ça, tu pourrais bien t’y trouver à l’ombre au bout d’une corde !

— Quant à l’ombre, je ne dis pas, gouailla Tonnerre ; mais pour ce qui en est de la corde, je préfère l’avoir dans le fond de ma poche qu’à l’entour de mon cou. Merci bien !

— C’est bon, tu me remercieras quand je t’aurai envoyé à tous les diables !

— Merci bien, je ne manquerai pas de leur fait part de votre prochaine visite !

— Silence ! rugit le colonel en levant son stick sur Tonnerre qui souriait narquoisement.

Mais le colonel ne fit qu’une menace. Il se contenta de hausser les épaules avec mépris, et se tourna vers les six militaires qui étaient tout stupéfiés de l’audace du « petit vieux ».

— Vous autres, poursuivit rudement le colonel, vous allez me tenir en respect ces deux individus, et s’ils parlent encore, tirez !

L’ordre fut aussitôt exécuté et six revolvers furent braqués sur nos amis. Mais eux ne bronchèrent pas.

Et se retournant vers ses prisonniers le colonel se mit à rire.

De son côté, le colonel réussit à retrouver son calme, et il dit sur un ton digne et autoritaire aux deux prisonniers :

— À présent, vous allez répondre à mes questions.

— Nous écoutons, cher monsieur, fit Alpaca.

— Dites-moi, en premier lieu, ce que vous avez fait de la valise ?

— De quelle valise voulez-vous parler ? demanda Alpaca avec une impassibilité d’indien.

— Ce n’est pas une question, c’est une réponse que je veux. Où avez-vous mis cette valise ?

— Avez-vous entendu parler de ladite valise, Maître Tonnerre ?

— Non, cher Maître, c’est bien la première fois qu’on m’en parle.

— À moi de même.

— Répondrez-vous ? clama le colonel.

— Monsieur, dit Alpaca, vous nous parlez d’une valise dont nous ignorons l’existence.

— Je connais, émit Tonnerre, bon nombre de marchands qui possèdent bon nombre de valises, peut-être que…

— Toi, rugît le colonel, je t’ai déjà dit de te taire. Et de son stick, qu’il éleva au-dessus de ses hommes, il fit un nouveau geste de menace.

Mais Tonnerre ne sourcilla pas et garda le silence exigé.

Le colonel fit entendre un ricanement moqueur et dit :

— Je vais vous rafraîchir la mémoire, attendez !

Il toucha le caporal à l’épaule et commanda :

— Caporal, veuillez dire à ces deux hommes les instructions que vous avez reçues et que vous exécuterez à la lettre… allez, je crois que cela les intéressera beaucoup.

Le caporal parla ainsi, tandis que l’officier rivait sur les deux prisonniers un œil narquois :

— D’abord, je ferai donner à chacun de nos deux prisonniers une bêche. Puis je les ferai conduire sous les arbres, et là, je leur ordonnerai de creuser une fosse mesurant pas moins de six pieds en longueur, de trois en largeur et de six en profondeur. Cela fait, je les posterai tous deux côte à côte au pied de la fosse, je leur ferai lier mains et pieds et je leur banderai les yeux.

— Ensuite ? dit le colonel qui avait à ses lèvres un sourire cruel.

— Ensuite, je disposerai mes cinq hommes en peloton et à dix pieds seulement des deux prisonniers, et je leur ordonnerai de mettre en joue leurs revolvers…

— Et enfin ? interrompit le colonel.

— Je commanderai le feu !

À ces dernières paroles du caporal Alpaca et Tonnerre, malgré toute leur bonne volonté, ne purent réprimer un frisson d’horreur.

Le colonel perçut ce frisson et sourit.

— Mais, caporal, reprit le colonel, vous avez oublié de dire ce que vous ferez de la fosse que vous aurez fait creuser.

— Dans la fosse, monsieur, nous jetterons les cadavres de ces deux hommes, et nous la comblerons ensuite.

Cette fois Alpaca et Tonnerre ne sourcillèrent pas.

Mais par un mouvement le colonel, probablement à son insu, se trouvait à masquer l’un des soldats devant lesquels ils se tenaient, et ce soldat avait son revolver braqué dans le dos du colonel. Tonnerre observa ce détail et un sourire moqueur courut sur ses lèvres.

— Pardonnez-moi, monsieur l’officier, de vous désobéir sitôt, dit-il, mais je désire vous rendre un service.

Le colonel regarda Tonnerre avec un stupide étonnement, et dans le court moment de silence qui suivit et au jeu que fit la physionomie de l’officier, on aurait pu penser que ce dernier commençait à comprendre que ses deux prisonniers se moquaient positivement de lui. Ses regards s’emplirent d’éclairs fulgurants, et l’accès de rage qui survint fut si brusque et violent qu’il ne put sur le coup proférer une parole. Or, Tonnerre en profita pour continuer :

— Je dis service… parce que je constate que vous êtes en danger de mort !

Ces paroles mirent une digue au flot de rage qui allait déborder chez le colonel et augmentèrent son étonnement, tandis qu’elles créaient sur les figures des soldats le plus drôle des ébahissements. Seul Alpaca comprit le sens des paroles de son compère et un large sourire fendit sa bouche, ce qui lui arrivait rarement.

Ce sourire piqua la vanité du colonel.

— Qu’est-ce à dire ? vociféra-t-il en marchant contre Tonnerre.

— C’est-à-dire, répliqua Tonnerre, que je sais ce que je dis. Je le répète pour votre bien : vous êtes en danger de mort, voilà tout ! N’est-ce pas, Maître Alpaca ?

— Rien de plus évident, Maître Tonnerre. Mais je comprends que monsieur l’officier est très brave, et, étant très brave, peu lui importe qu’on lui tire dans le dos, bien que, à la vérité, une balle dans le dos…

Mais déjà le colonel, en dépit de son esprit obtus, devinait la pensée de Tonnerre. Il se tourna d’une pièce et se vit menacer à la poitrine par le canon d’un revolver, par celui-là