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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

même qui l’instant d’avant le menaçait dans le dos.

Il fit un geste de fureur et s’écria en menaçant le soldat ahuri :

— Espèce de brute ! est-ce ainsi que je t’ai dit de tenir en respect ces hommes ?

La main du soldat et son arme tremblèrent… La colère chez le colonel fit place à la peur, car ce soldat, sans le vouloir et dans son trouble, pouvait appuyer un peu trop sur la détente… Aussi le colonel, emporté par cette peur, fit un bond énorme de côté pour se mettre hors de la portée du revolver. Puis d’un autre bond il se trouva derrière ses hommes, c’est-à-dire en sûreté.

Livide d’épouvante, haletant, suant, le colonel n’avait pas repris ses sens qu’un rire énorme éclatait entre les dents de nos deux compères.

Ce rire ranima toute la fureur de l’officier.

— Plus un mot, vous autres, hurla-t-il, ou vous êtes morts !

Alpaca et Tonnerre reprirent aussitôt leur sérieux.

Le colonel les regarda longuement, et ce regard parut s’illuminer d’une joie féroce.

— Eh bien ! nargua-t-il, que dites-vous de cette petite combinaison, mes amis ?

— Je dis que c’est fort bien trouvé ! fit Alpaca toujours avec son air grave.

Et Tonnerre :

— Seul un esprit cultivé comme le vôtre, mon colonel, peut avoir de si admirables idées !

Le colonel éclata de rire.

— Ainsi, demanda-t-il, cette perspective d’une mort prochaine, ne vous émeut pas ?

— Peuh ! fit Tonnerre avec dédain. Mourir hier, aujourd’hui, demain, qu’importe ! puisqu’il faut finir par là un jour ou l’autre !

— Et puis, ajouta Alpaca, cette mort-là en vaut bien une autre !

— Mais la fosse !… ricana le colonel, elle ne vous dit rien non plus ?

— Rien, répondit Alpaca railleur, sinon, la sublime idée que vous avez eue de nous la faire creuser !

Le colonel éclata d’un nouveau rire.

— Seulement, mes pauvres amis, vous avouerez bien qu’à votre âge il fait bon vivre encore ?

— Sur ce point, répliqua Tonnerre, nous sommes d’accord avec vous.

— Mais nous ne le sommes point, reprit le colonel, au sujet de la valise que vous avez volée à un très haut personnage ?

— Votre accusation de vol, répliqua fièrement Alpaca, ne peut atteindre deux hommes d’une probité irréprochable !

— Vous niez donc avoir volé une valise ?

— Franchement, cher monsieur, dit Tonnerre, je ne comprends rien à cette histoire de valise. Et vous, cher Maître ?

— Moi non plus, Maître Tonnerre. On m’a bien parlé jadis de mystères qui existent quelque part… je crois qu’en voici un !

Le colonel échappa un geste d’impatience.

— Prenez garde ! gronda-t-il. Vous vous imaginez que je fais de vaines menaces… Mais sachez-le : si vous vous obstinez à ne pas dire la vérité, c’en est fait de vous deux !

— Depuis une heure que nous nous efforçons de vous la faire entendre, la vérité, rétroqua Alpaca.

— D’ailleurs, mon colonel, dit Tonnerre d’une voix plus aigrelette et plus narquoise, nous avons horreur du mensonge. Donc…

— C’est assez ! interrompit durement le colonel.

Puis, en proférant un juron, il demanda :

— Exécutez vos ordres, caporal ! Seulement, ajouta-t-il, s’ils se décident à parler, je vous autorise à leur faire grâce de la vie. Je pars, mais je reviendrai à temps pour l’exécution. Compris ?

— Compris, monsieur.

Et proférant tous les jurons de sa langue maternelle, le colonel gagna l’auto stationnée devant le parterre et s’éloigna bientôt vers la cité.

Le caporal donna des ordres immédiatement à ses hommes, et nos deux compères, toujours imperturbables, furent entraînés dehors.

Là, le caporal leur remit une bêche à chacun, et les fit conduire sur un côté de la maison. Et tout près de celle-ci il mesura la longueur et la largeur de la fosse, et commanda sur un ton rogue aux deux prisonniers :

— Maintenant à la besogne… et hâtez-vous qu’on en ait fini de vos carcasses !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Depuis près d’une heure déjà Alpaca et Tonnerre travaillaient assez mollement au creusement de leur fosse, et tous deux gardaient un silence morne.

Plus loin, sous l’ombrage des arbres du parterre et histoire de tuer le temps, les six militaires avaient de bouts de planches aménagé une table et engagé une partie de Poker. Ajoutons que, sitôt le colonel parti, l’un des soldats s’était faufilé sous des buissons du voisinage et en avait retiré quelques flacons d’eau-de-vie.

Si bien que les têtes s’échauffaient… Les rires et les chansons se mêlaient à la fumée des cigarettes. Il arrivait que de temps à autre l’un des militaires se tournait vers Alpaca et Tonnerre, silencieux à leur besogne, élevait un flacon rutilant sous les rayons du soleil qui filtraient au travers des feuillages naissants, le faisait miroiter un moment, et disait avec un rire narquois :

— À votre santé, messieurs !

Un autre ajoutait, croyant être plus drôle :

— Bon courage, mes amis !

— Vous pourrez nous dire demain ce qu’on boit de bon dans l’autre monde ! avait fait un troisième qui se croyait plus doué d’esprit que ses camarades.

Alpaca et Tonnerre se bornaient à pousser de rudes soupirs. Mais non des soupirs de peur ou d’épouvante à la pensée d’aller bientôt voir ce qui se passait dans l’autre monde, mais à l’envie atroce qu’ils avaient d’effleurer de leurs lèvres fiévreuses le goulot de ces merveilleux flacons.

Après une autre demi-heure de travail, alors que la tête de Tonnerre avait tout à fait disparu dans la profondeur de la fosse et que celle d’Alpaca se trouvait juste au niveau du sol, Ton-