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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

revint à son oncle. Il en approcha un siège, s’assit et se penchant se mit à parler à voix basse… si basse qu’à deux pas de là on ne pouvait tout au plus saisir qu’un chuchotement. Et durant quinze minutes le colonel parla ainsi mystérieusement à son oncle… et le mystère devait être effarant au dernier point à en juger par la physionomie de l’ingénieur qui semblait manifester un étonnement indicible auquel se joignait l’épouvante ou l’horreur. Ses traits étaient devenus tirés et livides, ses yeux clignotaient affreusement.

Ce fut d’une voix méconnaissable qu’il dit, lorsque le colonel, avec un diabolique sourire, eut terminé ses terribles confidences :

— Ainsi… tu crois que ce William Benjamin aurait favorisé l’évasion et la fuite de…

— Chut !… souffla le colonel en posant un doigt sur ses lèvres et en prêtant l’oreille vers le vestibule en bas.

— C’était le bruit d’une porte qu’on ferme qui venait d’arriver à l’ouïe des deux personnages. Puis, aussitôt, dehors une toux claire… une toux de femme… troubla le silence de la nuit…

— C’est lui qui part ! murmura Conrad.

— Eh bien ! reprit le colonel à voix haute, que pensez-vous de mon projet ?

— Je suis assez de ton avis. Et en y réfléchissant, je commence à trouver en effet très singulières et louches les allures de ce William Benjamin.

— Eh bien ?… répéta le colonel avec une sorte d’anxiété dans la voix et le regard.

— Soit donc, dit Conrad après un moment de réflexion, nous irons à New York !

Une joie sombre plissa les lèvres du colonel.


XI

LA HAINE DE DUNTON


Si notre lecteur le veut bien, nous reviendrons de quelques heures en arrière, c’est-à-dire vers les trois heures de relevée, et nous lui ferons renouveler connaissance avec un personnage de cette histoire qu’il n’a fait encore qu’entrevoir : nous voulons parler de Robert Dunton, l’associé de James Conrad, et nous nous permettrons de pénétrer dans son cabinet de la rue Saint-Jacques.

Dunton, au moment où nous le retrouvons, est en conférence avec un individu à l’allure quelque peu policière, et voici ce qu’il disait de sa voix cassante :

— Vous me dites que vous n’avez pu mettre la main sur ce Kuppmein ? Pourtant je vous ai dit qu’il était important que cet homme soit surveillé étroitement.

— Il nous a glissé entre les doigts comme par magie, répliqua l’interlocuteur de Dunton. Ce jour-là, nous l’avions retracé dans un restaurant de Wall Street. De là, nous le filâmes au McAlpin où il resta deux heures. Avec qui et pour quelle affaire ? Nous n’avons pu le savoir. Toujours est-il qu’au bout de ces deux heures il reparut et gagna l’Hôtel Américain où il logeait. Il pénétra dans l’hôtel, dit quelques mots en passant à un employé de l’administration et gagna l’ascenseur. Nous attendîmes quelques minutes, mon compagnon et moi, puis nous entrâmes à l’hôtel et demandâmes M. Kuppmein. On nous fit conduire à son appartement. Nous frappons, personne ne répond. Nous entrons quand même. L’appartement est désert. Croyant que Kuppmein s’est absenté pour une minute ou deux, nous attendons. Nous ne doutons pas qu’il est demeuré dans l’hôtel. Une demi-heure se passe, pas de Kuppmein ! Une autre demi-heure s’écoule, pas de Kuppmein encore ! Nous descendons aux bureaux de l’administration où nous conférons avec le gérant de l’établissement. Surpris, ce dernier monte précipitamment aux appartements de Kuppmein et revient dix minutes après pour nous dire que l’allemand demeure introuvable. Bref, nous décidons de fouiller tout l’hôtel. Le gérant fait venir quatre détectives pour nous aider. Mais vaines recherches… il n’y a plus de Kuppmein nulle part. Alors, nous décidâmes d’abandonner la partie, quitte à la reprendre plus tard.

— C’est extraordinaire, dit Dunton.

— N’est-ce pas ?

— Très étrange ! murmura Dunton en se mettant à réfléchir profondément.

Au bout de quelques minutes il releva son front blême et dit de sa voix toujours rude :

— Qu’importe ce Kuppmein, bien qu’il eût été très intéressant de connaître à fond ses manœuvres ! Et puis, qui nous dit que nous ne le retrouverons pas au bon moment ! Mais en attendant vous allez vous attacher aux pas de ce William Benjamin, banquier, de Chicago.

— C’est déjà fait.

— Très bien. Mais aussi vous surveillerez mon associé, Conrad, qui je le répète, est en relations suivies avec la bande d’espions allemands que dirige Kuppmein. Et je vous répète aussi que Conrad n’est pas étranger au vol des plans et modèle du Chasse-Torpille de Lebon.

— Ah ! si nous avions au moins quelques indices pour justifier ces soupçons !

— Je sais bien que nous n’avons rien, et c’est pourquoi je vous charge d’en trouver, s’écria avec impatience Dunton. Pour moi personnellement je n’ai besoin d’aucun indice ou d’aucune preuve : mon idée est faite, ou plutôt ma conviction. Mes soupçons se font vérité. Car Conrad me hait et il est prêt à tout pour nuire à mes intérêts. Pour se venger de moi, ou, plus justement, pour satisfaire sa haine, il sacrifierait ses propres intérêts… sa famille même ! Oh ! je connais l’homme… dix longues années vécues côte à côte ! Il est traître à son associé, traître à ses actionnaires, traître à sa race, traître à son pays !… C’est assez vous faire voir qu’il est dangereux, et qu’il est grand temps de le mettre hors d’état de nuire !

— Nous aurons l’œil ouvert sur lui ! dit l’homme de police.

— Ce n’est pas tout, reprit Dunton. Il y a aussi le neveu de Conrad, le colonel, qui mérite un peu de votre attention. J’avoue que c’est un imbécile, ce colonel, mais voilà peut-être où l’imbécillité du neveu pourrait nous aider à démasquer l’oncle.

— Nous ne négligerons pas ce colonel non plus, assura l’agent de police.

— Ensuite, je crois qu’il serait opportun de