Aller au contenu

Page:Lebel - Les amours de W Benjamin, 1931.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
LES AMOURS DE W. BENJAMIN

Tous deux gardèrent le silence durant une minute, et au bout de cette minute le timbre de la porte d’entrée vibra longuement.

— C’est Lui ! souffla Miss Jane.

— Lebon ?

— Oui. Venez au salon, c’est là que nous le recevrons.

Aussitôt elle sonna un timbre pour appeler sa camériste, puis elle entraîna le capitaine dans le salon. De même que le fumoir, le salon était éclairé par un lustre en bronze muni, celui-là, de douze bougies électriques.

Miss Jane alla prendre place au piano dans un angle, et le capitaine Rutten se jeta négligemment sur une ottomane.

La camériste apparut l’instant d’après.

— Un visiteur est là ? dit Miss Jane, veuillez l’introduire.

La camériste traversa le salon pour gagner l’antichambre. Miss Jane fit courir ses jolis doigts sur le clavier d’ivoire, et, durant la minute qui suivit, le salon s’emplit des douces harmonies d’une langoureuse rêverie d’amour.

Et cette rêverie se prolongeait, lorsque Pierre Lebon parut sur le seuil de la porte. Miss Jane, au piano, lui tournait le dos.

Mais à la vue du jeune homme, Rutten se dressa vivement en proférant une exclamation de surprise et en faisant une légère révérence.

À cette exclamation du capitaine, Miss Jane se retourna…

Pierre la dévora ardemment du regard.

Le sourire de Miss Jane fut un sourire plein de bonheur. Elle courut au jeune homme les mains tendues, la bouche tendue…

— Ah ! s’écria-t-elle, que vous me faites plaisir !

Elle serrait avec force les deux mains de Pierre dans les siennes.

Le jeune homme éleva à ses lèvres ces mains moites et doucement parfumées.

— Mademoiselle, dit-il d’une voix émue, plus émue qu’il ne voulait laisser paraître, ma visite est aussi pour moi un immense plaisir.

Et comme, machinalement, le jeune homme jetait les yeux sur la silhouette grave du capitaine…

— Ah ! fit Miss Jane… j’oubliais de vous présenter mon père…

Les deux hommes s’inclinèrent, puis Rutten dit sur un ton un peu froid :

— Mon cher monsieur, je m’empresse de vous remercier pour l’insigne service que vous avez rendu à ma famille. Dès ce jour je contracte vis-à-vis de votre personne une dette de gratitude que je n’oublierai pas.

— Vous me comblez monsieur… pour si peu !

— Pour beaucoup, au contraire, répliqua vivement Miss Jane, avec son sourire magnétique. Car sans votre ami, Monsieur Benjamin, et vous-même, j’aurais pu avoir de regrettables mésaventures. N’est-ce pas votre avis, père ?

— Certainement, assura Rutten tout plein de son rôle. Mais je comprends que Monsieur Lebon est aussi modeste que courtois et généreux. Tenez, monsieur, ajouta-t-il en faisant quelques pas vers le jeune homme, j’aime à vous l’avouer de suite : dès le premier abord, vous me plaisez beaucoup. Aussi, je regrette bien être forcé de m’absenter, des affaires très importantes vont me retenir hors de chez moi une bonne partie de la nuit. Vous permettez, monsieur Lebon ? D’ailleurs, cette enfant gâtée tâchera de faire en sorte que vous ne vous ennuyiez pas trop.

Il caressa le menton de la jeune fille, sourit… mais d’un sourire ironique dont Pierre ne put saisir le sens véritable, et ajouta :

— Au revoir, Monsieur Lebon !

Ayant serré la main du jeune homme, et très satisfait d’avoir rempli au mieux son rôle de « père noble », Rutten gagna l’antichambre et disparut.

De suite, Miss Jane courut à la méridienne, y prit place, et dit avec un sourire fascinateur :

— Tenez… monsieur Lebon, venez vous asseoir ici près de moi et nous causerons comme deux bons amis !

Pierre obéit.

Ses yeux bruns lançaient, déjà des reflets d’amour…


XVI

LE COUP DE POIGNARD


Vers les dix heures de la matinée du lendemain, Miss Jane recevait le capitaine Rutten dans son fumoir.

La première question du capitaine avait été celle-ci :

— Et les amours ?…

— Elles marchent !… répondit Miss Jane avec un sourire sarcastique.

— Elles marchent seulement ? fit Rutten comme avec surprise.

— Elles volent ! reprit Miss Jane avec un petit rire aigu.

— C’est mieux ainsi ! Comme ça, vous n’avez rien de précisément neuf ?

— Si fait, mon cher capitaine, j’ai du nouveau.

— Qu’est-ce donc ?

— Une question d’abord.

— Faites.

— Avez-vous revu Kuppmein, depuis hier matin ?

— Non.

— En ce cas, allez dans l’antichambre et téléphonez à son hôtel.

— Pourquoi ? fit Rutten avec surprise.

— Pour savoir s’il est là.

— Et s’il y est ?

— Dites-lui de se rendre ici immédiatement.

Rutten vit un sourire énigmatique aux lèvres de Miss Jane, mais il ne fit aucune observation. Seulement, très intrigué, il prit le chemin de l’antichambre.

Quant à la jeune fille, elle prit une cigarette sur le guéridon, l’alluma et alla, suivant son habitude, s’étendre paresseusement sur la méridienne. Tout en fumant, elle ne perdait pas son sourire énigmatique.

Quelques minutes s’écoulèrent. Puis un pas rapide se fit entendre dans le salon, une main nerveuse écarta les draperies de l’arcade et Rutten reparut pâle et agité.

— Eh bien ? interrogea Miss Jane.

— Savez-vous ce que j’apprends ?