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Page:Lebel - Les amours de W Benjamin, 1931.djvu/46

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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

sons qui ne semble faire qu’un seul et unique personnage avec un certain colonel nommé Philip Conrad. Ensuite, Parsons a des pourparlers avec Kuppmein qui achète les plans d’abord avec l’entente que le modèle lui sera remis à New York par Parsons lui-même. Dans cette transaction Kuppmein a versé une somme d’argent égale à dix mille dollars, a même les vingt mille qu’il a volés à Grossman après avoir immobilisé ce dernier d’une balle au ventre. Dans l’intervalle le modèle est volé à Parsons par un inconnu que je soupçonne fort être Fringer… qui, ensuite, confie ce modèle à Grossman…

Disons ici que Miss Jane altéra la véridicité des événements, afin de passer sous silence la ridicule aventure dont elle avait été l’objet, à la gare Windsor, ce jour ou Grossmann lui avait si adroitement subtilisé la valise contenant le précieux modèle.

— Ensuite, continua Miss Jane, Lebon et Henriette Brière sont accusés du vol des plans et modèle par Conrad. Lebon est arrêté, sa complice se noye, puis survient ce William Benjamin qui m’intrigue très fort et dont nous reparlerons. Et vous savez comment ce Benjamin, avec le concours de deux agents à sa solde, a réussi à s’emparer du modèle, comme je vous en ai fait le récit au long tout à l’heure. Maintenant, acheva Miss Jane, voyez-vous d’ici ce qu’il nous reste à faire ?

— Oui, je vois, hormis une chose.

— Laquelle ?

— L’endroit précis où tendre la main pour saisir le modèle.

— Nous le saurons bientôt.

— Qui nous l’apprendra ?

— Pierre Lebon ! répondit Miss Jane avec un sourire placide.

— Hein ! vous dites Pierre Lebon ! s’écria Rutten avec un réel étonnement.

— Oui, Pierre Lebon… Mais laissez-moi vous raconter une autre petite histoire. J’ai filé à Montréal une assez jolie comédie et très agréable au moyen de laquelle j’ai pu entrer dans l’intimité de Lebon par l’intermédiaire de ce même et mystérieux William Benjamin. Or, pour eux je suis une certaine Miss Wilson, fille unique d’un banquier New Yorkais, et ce banquier… c’est vous-même, mon cher capitaine.

— Merci ! ricana Rutten avec une révérence moqueuse.

— C’est-à-dire, continua Miss Jane, que, à compter de ce jour, vous serez pour Lebon et William Benjamin, Monsieur Wilson, mon vénérable père.

— Bien que très honoré de cette paternité, ricana Rutten, j’eusse de beaucoup préféré être l’amoureux !

La jeune fille se mit à rire.

— Vieux renard… nargua-t-elle, vous préférez encore, malgré votre âge, les amours frivoles à l’amour paternel.

— Que voulez-vous, soupira Rutten, c’est dans ma nature !

— Eh bien ! faites un petit sacrifice temporaire. Et plus tard, qui sait s’il ne vous sera pas donné de revenir aux amours légères !

— Voilà qui me réconforte.

— Je poursuis donc, reprit Miss Jane. Tout à l’heure, vous me demandiez de vous conter mes amours avec Lebon ? Eh bien ! je peux vous dire de suite que je ne lui suis pas indifférente. Voilà, comme vous le pensez, qui n’est pas de mauvais augure. D’ailleurs, je l’attends ce soir, vers huit, heures, m’a-t-il assuré par téléphone. Et alors…

— Il est huit heures moins quart ! fit observer Rutten.

— C’est juste. Il n’y a donc plus que quelques minutes d’attente, et je vous présenterai comme mon père. Un peu plus tard, vous prétexterez des affaires pour nous laisser. Et, je vous le dis sans fatuité, quand Lebon me quittera il aura pour moi beaucoup d’amitié, et avant trois jours il m’aimera, et avant six jours il sera fou de moi… Et alors…

— Alors ?… répéta Rutten vivement intéressé.

— Alors Lebon, aujourd’hui très réservé sur ses affaires, n’aura plus de secrets pour moi. Il me dira donc où se trouve son modèle, et ce sera à vous d’aller le chercher.

— C’est magnifique ! déclara Rutten enchanté. Seulement, ajouta-t-il avec un sourire moqueur, méfiez-vous de vous laisser prendre à votre propre jeu !

— Que voulez-vous dire ?

— Ceci : prenez garde de vous éprendre d’un irrésistible amour pour ce jeune homme.

Miss Jane égrena un rire sarcastique.

— Rassurez-vous, dit-elle : j’ai trop d’intérêt à gagner les cent mille dollars que vous m’avez promis. Non, non, l’amour ne saurait me tourner la tête !

— Vous êtes de chair ! fit observer gravement Rutten avec un nouvel éclair dans ses yeux gris.

— Oui, mais quand je veux je suis de pierre… je suis d’acier, capitaine !

Et la jeune fille esquissa un geste farouche.

Le capitaine sourit et reprit :

— Non seulement, Miss Jane, je vous ai promis cent mille dollars, une fois que nos affaires seraient bâclées, mais aussi un voyage en Allemagne.

— Je ne l’oublie pas. Je vous y suivrai comme toute bonne fille bien soumise aux volontés de son noble père, ricana Miss Jane. À propos, ajouta-t-elle, en retrouvant son sérieux, où en sont nos autres affaires ?

— Tout va bien. Nous sommes en train d’organiser la grève formidable des Industrial Workers of the World. Mais nous sommes étroitement surveillés par les agents de Washington. L’affaire pourra rater. Peu m’importerait, du reste, si cette affaire de Chasse-Torpille était terminée. Car alors je lâcherais tout pour filer de l’autre côté… en votre adorable compagnie ! Oui, je vous le jure, Miss Jane… car à présent j’ai assez de fortune. Il ne me manquerait plus que ce modèle… et vous ! Aussi vais-je faire diligence pour…

— Chut ! interrompit la jeune fille en se levant en tendant l’oreille.

— Quoi donc ?

— N’avez-vous pas entendu la sonnerie ?

— Ma foi, non.

— Écoutez !