Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/113

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C’est un soin dont je m’acquittais avec plaisir, m’étant tout de suite prise d’amitié pour ces deux enfants. Leur nature, à la fois très grave et très naïve, enthousiaste et recueillie, ardente et contenue, m’avait conquise, et je m’abandonnais chaque jour davantage au charme joyeux de leur présence.

Ils m’aimaient bien aussi, trop peut-être, je ne tardai pas à le remarquer. À la longue même, leur affection dégénéra en une sorte de sentiment un peu exagéré, dont je m’amusais, m’en servant comme d’un moyen d’action sur eux, les récompensant d’un sourire ou les punissant d’un regard froid.

Je devins bientôt l’unique principe de leur conduite, du matin jusqu’au soir ils cherchaient à mériter une approbation par leur travail et par leur sagesse. Mais c’était surtout dans les choses plus visibles, plus directement appréciables que leur instinct les incitait à se distinguer sous mes yeux. C’était à qui courrait le plus vite, porterait les fardeaux les plus lourds, sauterait avec le plus d’agilité. A tout moment, le hasard les mettait aux prises l’un avec l’autre, en des circonstances même où il fallait que je fusse avertie pour pouvoir me rendre compte de la lutte qui avait lieu en mon honneur.

En vérité, cela m’était agréable. J’étais flattée d’être l’objet de tant d’efforts, et ces efforts aboutissaient parfois à des résultats si comiques ! Avides de montrer leurs qualités sportives et de se conduire en athlètes qui connaissent leur affaire, ils arrivaient à considérer comme des manifestations de sport tout ce qui mettait en relief leur endurance, leur courage, leur souplesse, leur adresse.

Ainsi, ils se livraient en ma présence à des courses à cloche-pied, à des courses à reculons, ou de biais, ou les yeux bandés. Ils s’exposaient durant des heures au soleil, ou au froid, ou à la pluie. Blessés, ils riaient sans rien dire. Épuisés, il ne se couchaient pas.