Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/125

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De toute la matinée elle ne descendit point, et pas davantage au déjeuner. Ce n’est qu’à une heure, quand l’automobile fut réparée, qu’elle apparut, confuse, rougissante, et les yeux baissés, comme si un événement extraordinaire s’était produit.

Et de fait quelque chose s’était produit, elle y songeait dans le roulement sourd de l’automobile. Ce quelque chose, c’était la révélation brusque de son amour, et en même temps la vision très nette des effroyables conséquences qu’entraînait cet amour. Elle aimait Paul ! et Paul avait vingt ans de moins qu’elle et Paul était un ouvrier ! Elle, elle eût encore bien bravé le ridicule, et forte de son amour, surmonté les obstacles les plus terribles. Mais lui… lui… Paul ? Ce qui n’eût été que mésalliance pour elle — car dès l’abord elle n’envisagea que cette solution : le mariage — était pour lui une action équivoque, un marché… À moins cependant qu’il ne l’aimât ?… Être aimée de lui ! Était-ce possible ?

Pensées cruelles ! Doutes torturants ! Que faire ?…

Et tout à coup elle s’aperçut qu’on arrivait aux portes de la ville.

— Arrêtez, arrêtez, s’écria-t-elle.

Non, non, elle ne consentirait jamais à rentrer en compagnie du jeune homme, après une nuit d’absence. Toute la ville devait en parler. Elle devait être déjà la fable et la risée de tous. Quel scandale ! Sa pudeur de vieille fille se révoltait. Non, elle ne rentrerait pas ainsi.

Alors, acculée à la nécessité d’une décision immédiate, elle balbutia :

— Écoutez, Paul, si vous vouliez… on pourrait… Vous êtes orphelin… moi aussi… la maison est grande… vous seriez le maître…