Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/129

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— Ma foi, je n’ai ni honte ni dégoût. Quand je déboucle mes guêtres, je ne songe pas que j’ai eu du plaisir à tuer, mais que j’en ai eu, et infiniment, à poursuivre une proie qui m’échappait, plus agile, plus rusée que moi, supérieure à moi par la vue, par l’ouïe, par le flair. Tout le divertissement est là. Il y a lutte, excitation, déploiement d’habileté, stratagème, déduction. Il y a l’entente exquise du chasseur et de son chien. Il y a la sensation de l’adresse, du succès ou de la défaite, et combien d’autres…

— Il y a la sensation du meurtre, interrompit Verdol. Le reste n’est qu’illusion volontaire pour masquer un passe-temps dont on n’aimerait pas à voir le sens réel. Ainsi les Espagnols raffineront sur la beauté de leurs courses de taureaux, sur le pittoresque de la foule, sur le courage des picadores, la souplesse des banderilleros et le sang-froid des toreros, alors qu’en somme toute la volupté consiste dans le spectacle des entrailles qui jaillissent du ventre des chevaux et du beau sang rouge qui ruisselle sur la robe des taureaux. Tout cela dérive du même instinct. On chasse pour tuer, et l’on tue sans autre raison que pour le plaisir de tuer. On tue de fonte son âme, avec les sentiments les plus élémentaires et les plus primitifs, des élans de sauvage qui hait sa proie et qui lui en veut si elle se dérobe ou si elle fait par trop languir son impatience légitime.

Voilà la vérité. Analysez loyalement votre passion, vous n’y trouverez en fin de compte que l’instinct du meurtre. Nous l’avons hérité de nos ancêtres, et nous le gardons avec soin, le décorant et l’honorant comme une relique précieuse du passé. Hypocrisie ! Le plaisir de tuer était excusable autrefois, quand il accompagnait un besoin de manger ou la nécessité de se défendre. Il ne l’est plus aujourd’hui, où il n’est qu’un amusement d’oisifs et de riches.