Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/128

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— Mais si, au contraire, et le plus noble, le plus admirable. Vous n’êtes donc pas de cet avis ?

Verdol garda un instant le silence, puis, cédant au désir de discuter, il affirma :

— Mon avis est que la chasse est tout simplement une distraction cruelle, qui indique, chez celui qui s’y livre, la persistance d’instincts primitifs et sanguinaires, ce qui n’a rien de sportif. C’est comme si vous me disiez que la guerre est un sport, ou plus crûment que le fait de tuer est un sport.

Le comte se récria :

— Mais il y a autre chose dans la chasse et qui en est le caractère principal : il y a la joie de l’exercice, de la marche à travers plaines et bois, sous le soleil, sous la pluie, contre le vent. Voilà ce que nous aimons avant tout, et que vous aimeriez si vous aviez chassé.

Tous les convives approuvèrent. Les torses se dressèrent. Ils se sentaient forts, puissants, infatigables. Mais Verdol riposta :

— J’ai chassé. Je puis même dire que je connais l’âme du chasseur, parce que cette âme est en moi, âpre et violente.

J’avais seize ans. Mon père, nemrod farouche, me mit un fusil entre les mains. J’étais adroit, et du premier coup presque autant que lui. Ce fut un massacre. Je n’oublierai jamais cette journée. J’étais ivre. Je tuais, je tuais comme un fou aurait tué, comme on tue lorsque l’on tue, avec rage, avec orgueil, avec exaltation, avec démence. C’était délicieux. Je prenais à pleins doigts la bête encore chaude, encore vivante parfois, et je l’étranglais, ou je lui cassais la tête contre le tronc d’un arbre… eh oui, Comme vous le faites, messieurs. Je suis rentré le soir, honteux de moi. Je pleurais de dégoût. Depuis, je n’ai jamais touché un fusil.

On se tut, un peu gêné. À la fin, le comte éclata de rire.