Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/133

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— C’est vous, Lucien ?

— Oui.

— Ah ! vite, j’ai peur, Si l’on se doutait !…

— Ne craignez rien, Suzanne, je suis là.

En une seconde elle fut sur sa bicyclette et fila légèrement par le chemin vicinal qui contourne les vieux murs.

Il ne la rejoignit que quelques minutes plus tard.

— Je vous en prie, allons plus doucement. L’étape est longue, et au départ la vitesse coupe les jambes.

Us roulèrent en silence, ou plutôt dans un silence relatif, car la bicyclette de Lucien imitait, à s’y méprendre, le bruit de deux cerceaux de fer rouillés bondissant sur des pavés inégaux,

— Ce sont des caoutchoucs pleins que vous avez ? demanda-t-elle.

Il répondit fièrement :

— Ce sont des pneumatiques.

Soudain la lune se dégagea des nuages qui la voilaient jusqu’ici. Suzanne s’exclama, stupéfaite :

— Qu’y a-t-il sur votre guidon ? Cet échafaudage ?

— Des provisions. Pensez donc ! Nous ne pouvons entrer dans les auberges, ce serait trop dangereux — du moins pendant les premiers jours.

— Mais où coucherons-nous ?

— Dans les granges, ou bien dans les abris naturels que nous offrira le hasard.

L’idée des abris naturels n’enthousiasma point Suzanne.

— Et si nous sommes attaqués ?

À ce moment ils montaient à pied une côte assez rude. Lucien s’arrêta et, d’un mouvement significatif, ouvrit son veston. Les crosses de deux pistolets émergeaient de sa ceinture, flanquées d’un poignard et d’un casse-tête, Suzanne se tut, rassurée.

Ils repartirent et, durant une heure,