Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

glissèrent à travers les bois et les champs, assez lentement d’ailleurs, car la fougue de Suzanne s’était ralentie, et les bagages de Lucien n’étaient pas pour accélérer son allure.

— Mon but, disait-il, est de quitter la grand’route après le lac de Gordes. Jusque-là nous risquons d’être rejoints.

De chaque côté d’eux les lignes des peupliers défilaient, alternant leurs ombres élancées. Souvent ils tressaillaient de peur. Une fois Lucien, le poignard aux dents, dut braquer ses deux pistolets contre une monstrueuse forme blanche qui leur barrait le chemin. C’était une vache échappée.

Alerte délicieuse ! Ils en rirent beaucoup. Et ils allaient, insouciants et gais, sans penser à la fatigue, sans s’occuper du gîte, grange ou abri naturel où leur nuit s’achèverait. Encore quelques coups de pédale et ils arrivaient au lac. C’était le salut.

Et soudain une détonation retentit. Lucien roula à terre. Suzanne fit quelques embardées, puis s’en fut tomber tout de son long sur l’herbe.

Un silence solennel suivit cette double chute. La lune et les étoiles brillaient au ciel impassible.

Au bout d’un instant la voix de Lucien s’exhala de la poussière :

— Je n’ai rien.

Et la voix de Suzanne gémit dans l’herbe :

— Moi non plus.

— Alors ?

— J’ai perdu la tête en vous voyant tomber.

Un silence encore, puis elle ajouta :

— La balle ne vous à pas atteint ?

— Non, je ne crois pas.

Ils se relevèrent, étourdis par le choc, et assez inquiets sur les dispositions de leur ennemi invisible. Allait-on les attaquer de nouveau ? Lucien tremblait si fort que ses jambes vacillaient sous lui.