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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

LA VIE EST BONNE

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J’étais fort ce jour-là, de cette force invincible et légère qui nous anime à certaines heures, et dont on goûte l’ivresse comme la chose la plus délicieuse, la plus divine qui soit.

Il me semblait que c’était la volonté mystérieuse des pédales qui entraînait mes jambes et non mes jambes qui pesaient sur les pédales. Sans secousses nerveuses, sans à-coups d’énergie, je glissais dans le somptueux paysage d’automne, entre les flammes jumelles des grands peupliers d’or. Je respirais, avec le souffle tiède de l’air, tout ce qu’il y avait dans la nature de parfums épars, de langueur, de grâce et de beauté. Des hymnes d’amour et d’allégresse chantaient en moi.

C’était la sensation de la vie qui montait à mes lèvres et perfectionnait mon regard, gonflait ma poitrine, surexcitait ma chair et grisait mon cerveau.

Et je pensais que l’unique bonheur est là, dans cette sensation adorable. La vie ne vaut que par les minutes où l’on a la conscience physique que l’on vit. Et peut-on l’avoir, hélas ! en dehors de ces minutes brèves et rares où la jeunesse, la santé, l’inconscience, la force, l’amitié de la nature, la volupté du mouvement, paraissent s’unir, comme des fées bienfaisantes, pour nous enrichir et nous exalter ?