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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

Monsieur Audimard et le sieur Vatinel

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C’est à Fauville, gros bourg normand, que je fis la connaissance de M. Audimard, célébrité locale.

C’était un homme de taille ordinaire et d’âge incertain, à grosses moustaches tombantes, les yeux invisibles derrière d’épaisses lunettes fumées et toujours vêtu d’une longue redingote noire. Somme toute, personnage important dont on prisait les conseils et dont on redoutait l’opinion, M. Audimard imposait par la sévérité de ses mœurs et la gravité de son extérieur.

Mais le genre d’existence qu’il menait lui valait une illustration toute particulière.

Un jour, le doux M. Audimard arrivait à l’hôtel du Grand-Coq sur le coup de onze heures et déjeunait à la table des principaux habitués. L’après-midi, il allait voir tel ou tel des notables de l’endroit, se montrait chez le pharmacien, assistait à l’arrivée de l’omnibus qui dessert la gare la plus proche, et revenait diner à l’hôtel. Le soir, il jouait aux dominos ou devisait sérieusement au milieu d’un auditoire attentif.

Et le lendemain il n’apparaissait pas. Nul ne pouvait se vanter de l’avoir vu deux jours de suite. Il restait chez lui, enfermé dans la jolie maison qu’il possédait un peu à l’écart du village. Ce jour-là les volets ne s’en ouvraient pas. Aucun bruit ne s’y entendait. Personne n’y entrait, Le surlendemain seulement, vers dix heures du matin, une femme du pays venait sonner à la porte et faire le ménage. À onze heures M. Audimard franchissait le seuil de l’hôtel.