Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/158

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Tout de suite il me comprit. D’ailleurs il croyait savoir de qui je parlais.

— Une dame blonde, n’est-ce pas ? élégante, jupe de drap mordoré et boléro de loutre ? Je la vois souvent dans la rue, toujours seule…

Il sourit, ce qui m’irrita. Mais ses conseils m’étaient trop précieux. Je me contins.

Les deux dimanches et les deux jeudis qui suivirent, je retrouvai mon inconnue. Ma vie fut définitivement bouleversée. Son image flottait dans mes rêves et se dessinait sur mes livres d’étude.

J’aurais voulu lui faire des sacrifices formidables, auxquels elle eût répondu — c’était mon vœu le plus cher — en me battant. Oui, recevoir des coups de sa main me semblait le bonheur suprême. J’en pleurais d’avance. Quant à tenter le moindre effort pour mériter une telle faveur ou pour qu’elle se doutât seulement de mon existence, j’eusse préféré mourir.

— Il faudra que je m’en mêle, répétait Charles avec compassion, d’autant, tu sais, mon vieux, que je patine comme pas un… Mais quoi ! j’ai d’autres chats à fouetter.

Enfin un jour il se décida.

Ah ! ce que je tremblais en arrivant aux prairies du Petit-Quevilly ! À quels actes téméraires allait-il me contraindre ? Comment finirait cette aventure ?

À peine sur la glace, j’eus une vive contrariété. Ainsi qu’il l’avait annoncé, Charles patinait fort bien. Je paraissais un débutant à côté de lui, et si maladroit !

Il me dit :

— C’est celle qui est là-bas, n’est-ce pas ? Fichtre, elle a de la ligne. Reste ici, tu vas voir comment on s’y prend pour border une jupe de drap et un boléro de loutre. Je ne me donne pas cinq minutes…