Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/159

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Il s’avança, passa près de l’inconnue, la dévisagea, fit devant elle, comme pour lui prouver son habileté, quelques-unes de ses prouesses les plus audacieuses, puis, le chapeau à la main, l’air à la fois respectueux et cavalier, s’approcha. À ma grande stupéfaction, elle l’accueillit.

Ils causèrent assez longtemps. Un moment elle tourna les yeux vers moi. Il me sembla qu’elle riait. Se moquaient-ils ? De la colère, de la honte m’envahirent.

Soudain il lui tendit les deux mains ; elle y plaça les siennes, et, les bras entrecroisés, ils s’élancèrent. Je me rappelle que je fus sur le point de m’enfuir, tellement ma douleur était cruelle. Il la touchait ! Leurs mains se mêlaient ! Elle s’appuyait sur lui ! Elle se confiait à lui, à sa force, à son adresse !

À plusieurs reprises ils évoluèrent autour de moi, légers et ondoyants. Mon Dieu, que pouvait-il lui dire ? Ils donnaient l’impression de deux amis qui s’accordent à merveille, lui joyeux et empressé, elle heureuse et grave. Je surpris un regard qu’elle lui adressait. Quelle douceur ! J’en fus dévoré de jalousie. Était-il possible qu’elle le regardât de la sorte ?

Incapable d’assister plus longtemps à ce spectacle, je me réfugiai à l’écart, dans une partie où la glace très mince n’offrait pas assez de solidité pour qu’il fût prudent de s’y risquer.

Il m’y rejoignit au bout d’un instant et me dit :

— C’est entendu.

— Quoi ?

— Elle sera chez elle demain, à cinq heures.

— Mais je ne veux pas y aller ! m’écriai-je épouvanté.

— Ne crains rien, mon petit. Je n’ai même pas parlé de toi. Tu comprends bien que dans ces questions-là chacun commence par s’occuper de ses propres affaires.