Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/169

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la route de l’autre côté. C’était cela, il en avait la certitude.

Une haine violente le crispa. Jamais, il le sentit, il ne lui pardonnerait son horrible projet. Certes elle n’aurait pas le courage de le réaliser. Mais elle y pensait, elle était hantée par cette idée de folie. L’indomptable créature ! Que pouvait-il espérer d’elle ? Que serait pour elle un mari qu’elle n’aurait pas choisi, un maître qu’elle aurait été obligée de subir ?

Par orgueil encore il s’entêta. Et même il se mit à rire pour prouver combien il était tranquille. Mais son rire lui parut sonner si faux qu’il en fut alarmé. Et en même temps il s’aperçut que ses mains tremblaient.

Il raidit les muscles de ses bras, il serra les doigts de toute son, énergie. Vains efforts ! Ses mains tremblaient. Il avait peur.

Il avait peur du geste de Diane. Ce geste il le sentait inévitable, fatal. L’esprit de la jeune fille s’y accoutumait, froidement et résolument elle en acceptait les conséquences mortelles. Et il avait peur de l’abîme, du torrent, de la falaise meurtrière, du sang qui coule, de la blessure dont on meurt, de l’agonie… Il avait peur.

De nouveau il la regarda. Les yeux de Diane n’avaient pas quitté le volant. Sa main en était plus proche. Elle semblait hypnotisée.

— Elle est prête, se dit-il, bouleversé. Si je n’arrête pas avant la sortie des gorges, avant ce pont qui est là-bas, je suis perdu.

Il se cramponna au volant, décidé à tout. Mais non, son épouvante grandissait, devenait intolérable. Il ne pouvait plus respirer. Il y voyait à peine.

— Voilà… voilà… elle va lever la main… Nous sommes à cent mètres du pont… une fois le pont passé, je suis sauvé… mais elle ne veut pas… voilà… sa main va se lever…

À vingt mètres du pont, il arrêta, vaincu, épuisé.

Il y eut un long silence. Puis elle dit :

— Détachez-moi.

Il obéit. Il était à bout de forces, et si faible devant elle, si bien dompté par cette énergie implacable qu’il n’avait même pas conscience de son humiliation.

Elle descendit et s’éloigna…

Maurice LEBLANC.