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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

L’AGRESSEUR

Séparateur

La nuit était douce et sereine, sans lune, mais toute claire d’étoiles, et la route blanche apparaissait distinctement entre la double ligne des peupliers et dans la masse sombre des grandes plaines désertes.

Je roulais sans aucun effort, poussé par cette force mystérieuse qui semble, à certains moments de pleine santé et d’allégresse, inépuisable comme une source, invincible comme un élément. Sensation adorable que la nuit et le silence exaltent jusqu’à la volupté !

Pour arriver au gros bourg d’Évrecy il me restait à faire quatre-vingts kilomètres. J’étais en forme, reposé par le train régulier que je menais depuis mon départ. Je comptais donc toucher au but vers cinq heures du matin, une heure après le lever du soleil.

Et j’allais ainsi dans la paix des choses, bercé de rêves vagues, pénétré des émotions que donne à ceux qui l’aiment la bonne nature amicale. Tout à coup trois ombres surgirent d’entre les arbres. Une d’elles bondit sur la route en criant :

« — Halte ! »

Je fis un écart brusque pour éviter les bras tendus de l’homme, et passai sans encombre, mais je l’entendis qui hurlait :

— Vite, vite, vous le rattraperez.

Je me retournai et vis que ses deux compagnons me poursuivaient à bicyclette. Je leur criai :

— Imbéciles ! Je n’ai pas cent francs sur moi.

— Va toujours, prononça l’un d’eux, et pile ferme… sans quoi tu écopes.