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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

LES DEMI-DIEUX

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Ce jour-là mon mécanicien fut si impertinent, si grossier, qu’arrivé au Havre je le congédiai. Mon parti d’ailleurs était pris depuis longtemps : à quoi bon un mécanicien ? Pourquoi s’embarrasser d’un de ces personnages toujours grognons, indélicats et encombrants ? Certes je suis de la plus parfaite ignorance en matière de mécanique, et le mystère de la Sainte-Trinité me semble un jeu d’enfant quand je le compare au mystère insondable du carburateur. Mais est-il vraiment besoin de savoir, quand on à la chance de posséder une quatorze-chevaux irréprochable, de caractère excellent, tout à fait bonne fille, enfin une de ces voitures X. Y. Z. (Automobiles Xaintrailles, Yost, Zadig et Cie), qui ne passent pas leur temps à vous faire d’absurdes niches ?

Bref, le lendemain matin, je parlais du Havre pour aller déjeuner à Dieppe. Voyage exquis ! Personne à mes côtés. Enfin seul ! J’étais mon maître.

Harfleur, Montivilliers, Goderville, Fécamp, villes et bourgades, tout cela fut semé derrière moi, comme du lest que l’on jette du ballon pour en alléger encore le vol éperdu. J’en étais à me demander si la présence de cet homme, son poids, le maléfice de sa méchante humeur n’avaient point jusqu’ici entravé l’élan naturel de mon X. Y. Z. ! La façon dont nous montâmes, elle et moi, la longue côte de Fécamp, m’extasia.

— Nous ne la montâmes point, m’écriai-je sur le plateau, dans un accès de lyrisme qui se traduisit de la façon la plus. pittoresque et la plus spirituelle, nous ne la montâmes point ; nous l’escamontâmes.