Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/190

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risez, j’essaierai moi-même. J’ai un peu d’expérience, et peut-être n’est-ce pas bien grave.

Déjà elle déposait son ombrelle et enlevait ses gants. Je lui dis :

— Mon Dieu, mademoiselle, si cela vous amuse…

Moi, cela m’amusait, et beaucoup. Bien entendu, je ne doutais pas du résultat. Que peut une humble femme contre l’invisible ennemi ? J’en riais d’avance.

Pourtant elle l’attaqua bravement, ouvrant la gueule du monstre en petite personne qui n’a pas peur. El bravement elle se mit à l’ouvrage avec une assurance tranquille. Oui, elle eut l’audace de toucher à des rouages, à des pistons, à un tas de machines compliquées, de dévisser, de desserrer, de palper, d’entrer son bras très loin dans des vides, de se coucher sur le sol, enfin de faire tous les gestes fatidiques qui conjurent le mauvais sort.

Évidemment c’était une initiée. Elle connaissait à fond le sanctuaire. Pas une fois elle n’hésita dans l’accomplissement des rites sacrés. Mais voilà, pouvait-on la mettre au rang des initiés qui savent tout, des demi-dieux ?

Je ne tardai pas à l’apprendre. À la première tentative qu’elle fit, le vacarme d’une mise en marche soudaine retentit joyeusement.

Avec la plus grande simplicité elle se tourna vers moi et me dit :

— Vous pouvez partir, monsieur, ce n’était rien : une bougie encrassée…

— Fichtre, m’écriai-je, une bougie encrassée, vous appelez cela rien. Il fallait encore s’en aviser.

J’étais, avouons-le, considérablement surpris, Mais sans que mon amour-propre de chauffeur en souffrît le moins du monde. C’est un sentiment que j’ignore, et pour cause.