Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/205

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Le comte l’avait prévu : un voyage ne suffit point. Il en fallut trois. J’en aurais fait dix ; la comtesse m’accompagnait, et elle goûtait si fort la griserie de la vitesse !

Je puis dire que la journée fut rude, et que je me dépensai sans compter, n’y regardant pas à donner un coup de main, clouant moi aussi, enlevant les malles, les débarquant à la gare, remplissant les feuilles d’expédition. J’avais promis que tout serait terminé dans les délais fixés, et j’en faisais une question d’amour-propre personnel. Il me plaisait que la comtesse sût ce qu’un campagnard de mon espèce pouvait accomplir lorsqu’il était stimulé par les beaux yeux d’une jolie femme. La sueur qui coulait de mon front en fut la meilleure preuve.

Enfin, à neuf heures du soir, mes amis d’Essaur montaient dans l’express qui arrive à minuit à la frontière italienne. Les adieux furent chaleureux. On devait se revoir bientôt. Le comte me dit en me serrant la main :

— Je ne manquerai pas de rapporter au duc tout ce qu’il vous doit. Vous le connaissez, votre complaisance le touchera profondément.

On se quitta sur cette phrase qui me réjouit, car j’aime fort le vieux duc.

Et, d’ailleurs, la joie d’obliger ne trouve-t-elle pas sa récompense en elle-même ? La gratitude de ceux à qui l’on rend service est délicieuse, mais rendre service suffit.

Durant huit jours je savourai ce plaisir désintéressé. Je le savourai moins par la suite lorsque les événements se dessinèrent, et qu’il me fallut subir un mois de prison pour avoir cambriolé avec mes amis Galimoux, dits comte et comtesse d’Essaur, le château de mon excellent ami le duc d’Éverlin.