Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/219

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Heureuse, souriante… c’était là une de ces choses que son cerveau obscur ne pouvait s’expliquer.

Comment se faisait-il qu’elle osât sourire, qu’elle eût la force, l’idée même de Sourire ? Il en conçut une inquiétude Sourde, et presque du respect, comme s’il admirait sa femme d’avoir échappé miraculeusement à sa tyrannie, À son tour, il était dominé. Ce sourire… ce sourire… Parfois il lui venait l’envie de s’agenouiller quand elle souriait ainsi, et de joindre les mains pour qu’un peu de ce sourire descendit jusqu’à lui. Il lui semblait qu’il en serait mort de bonheur et d’extase.

Or, un dimanche, alors que la fête du Village voisin avait attiré tous les domestiques, Caorches se disposait à sortir en automobile, quand il aperçut de la terrasse un paysan qui cherchait à se dissimuler parmi les roseaux, sur l’autre rive du torrent. Caorches descendit jusqu’aux anciens remparts et franchit une poterne basse. Arrivé près de l’homme sans que celui-ci s’en fût avisé, il le surprit qui faisait des signes du côté du château.

Il se retourna. Régine était à une fenêtre et répondait aux signaux.

L’homme prit une pierre, y fixa ostensiblement une lettre qu’il tenait en main et ramena le bras en arrière pour la lancer. D’un bond, Caorches sauta sur lui, le renversa, l’étourdit d’un coup de poing et s’empara de la lettre.

Il tremblait tellement qu’il eut du mal à la décacheter, à la déplier, à la lire… Elle contenait ces mots :

« Tout est prêt. Cent mètres avant la butte d’Escalaire, sur la route qu’il est obligé de suivre. Dès qu’il sera sorti, prends la fuite. Le messager te conduira. La chose faite, je te rejoindrai ».

Caorches resta un instant sans com-