Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/224

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Était-il permis de supposer qu’il y avait eu dessein établi, préméditation dans l’accomplissement d’actes semblables ? Presque simultanément, quatre nouvelles victimes s’ajoutèrent aux précédentes. Les circonstances étaient les mêmes : écart brusque de la voiture qui renverse, tue et s’enfuit. La certitude s’imposait.

On se souvient de l’émoi qui souleva d’opinion. D’un bout à l’autre de la France, ce fut une explosion de colère, et un besoin avide de savoir, de pénétrer cet épouvantable mystère. Car enfin, si l’on avait recueilli certains renseignements sur l’automobile, il n’y en avait que de très vagues sur celui qui la conduisait.

Seul, il était toujours seul, voilà ce que l’on savait. Dans le nuage de poussière qui l’enveloppait, dans l’élan vertigineux de sa course, on apercevait une sorte d’être vêtu de fourrure, accroupi, immobile à l’arrière de sa longue voiture. Les uns le disaient bossu. Des paysans prétendaient que cette soi-disant fourrure n’était autre que sa toison naturelle qu’il y avait là, non un homme, mais un monstre, une bête fauve… Inévitablement l’imagination des foules devait s’emparer de ce personnage pour en grossir les traits, le symboliser, et en faire une figure de légende.

Il y prêtait d’ailleurs singulièrement. D’où venait-il ? Qui était-il ? Quel était son but ?

Et puis, où se cachait-il ? Il ne pouvait du matin jusqu’au soir, et du soir au matin, rouler sur les grand’routes. Si fantastique qu’il fût, il mangeait, buvait, dormait, alimentait sa voiture, achetait de l’essence, de l’huile. Où ? Comment ? Personne ne l’avait encore vu, et personne, malgré les efforts individuels, les investigations des gendarmeries, l’attention vigilante de tout un pays, ne connaissait encore exactement l’automobile, ne l’avait contemplée à l’état de repos, stationnaire.

Lui, cependant, on finit par le voir. Un bûcheron raconta qu’il avait été abordé, en forêt d’Andaine, par un individu con-