Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/232

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Mais il existait, n’est-ce pas ? l’homme approchait, prêt à frapper. Il allait frapper. Et voilà que je m’aperçus, phénomène déconcertant, que l’une de mes mains avait glissé jusque sur le marbre de la table de nuit où se trouvait mon revolver, et que l’autre montait par un mouvement imperceptible vers le bouton électrique. Et voilà que j’étais presque à genoux sur mon lit, et cela sans qu’une seule des ondes immobiles du silence eût été troublée, et cela malgré ma peur, malgré ma peur horrible.

Et je l’atteignis, mon revolver. Oui, je le tenais, et, parce qu’il était indispensable qu’il en fût ainsi la main qui le tenait s’arrêta de trembler. Mais l’autre, l’autre qui creusait l’ombre pour cheminer vers la muraille, ah ! la malheureuse la pauvre feuille frissonnante !  ;

Et mon cœur ! il m’ébranlait la poitrine, comme un battant de cloche. L’homme devait l’entendre. Ah ! quelle souffrance !

Et tout à coup je sentis… Mes doigts touchaient.. Mes doigts qui ne tremblaient plus pouvaient faire jaillir la lumière… Cela ne dépendait que d’eux… Je tournai…

L’homme était là, en face de moi, le bras levé.

Aveuglé par la lumière, comme heurté, il eut un petit mouvement de recul, poussa un faible gémissement, et son couteau tomba.

Et il eut peur. Oui, j’affirme qu’il eut peur. Ah ! certes, pas plus que moi, c’eût été impossible. Moi, j’avais été pris de peur, comme on est pris de froid, et rien au monde, aucun secours ne m’eût délivré de cette peur… rien que la disparition de l’homme. Mais il avait peur, lui aussi, sans quoi, qu’est-ce qui l’empêchait de se jeter sur moi, ou mieux de s’enfuir ?

Mais il ne bougeait pas, et nous restions là à nous regarder comme deux fous, les yeux hagards. C’était un être chétif, à la figure verdâtre, les paupières bordées de sang, le front bas et stupide.