Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/233

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Et moi, j’étais vigoureux, j’étais armé, je le tenais au bout de mon revolver, je n’avais qu’à presser la gâchette, Et cependant… cependant, non, je ne pouvais pas… Pour accomplir un tel acte, il eût fallu, me semblait-il, une énergie surhumaine. Et j’avais tout au plus la force de ne pas laisser échapper mon revolver. Si je remuais un doigt, si je risquais le moindre geste, l’arme tombait, j’étais perdu.

Et la peur grandissait en moi. Et mon pauvre cœur se cognait aux parois de ma poitrine, comme un oiseau éperdu. Mon Dieu, quelle torture ! Un cœur qui bat de la sorte finit par se rompre. Allais-je mourir ? Ce que l’homme rirait ! Ah ! mon Cerveau éclatait…

Et je sentis que cela ne pouvait durer. Il fallait se lever et bondir sur lui. Je fis un effort. I] recula, ses jambes fléchirent. Et il arriva cette chose extraordinaire, c’est que moi, l’athlète, le héros des salles de tir, enfin vaincu par l’effroi inexplicable que m’inspirait ce poltron, trahi par mes nerfs, suant la peur, je balbutiai :

— Là… derrière vous… les clefs qui sont sur la table… ouvrez le secrétaire… dans le tiroir à droite il y a des billets, de l’or… c’est pour vous… mais partez… partez vite…

Il me regarda un instant sans comprendre, puis se mit à rire, d’un rire imbécile qui me fit mal. Puis il prit les clefs, ouvrit le secrétaire, emplit ses poches avidement et s’en alla.

Je tombai évanoui…

Maurice LEBLANC.