Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/254

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Placés l’un près de l’autre, au fond de la voiture, tandis que le prince et son mécanicien conduisaient alternativement, nous nous entendîmes bientôt à merveille. Beaucoup de relations nous étaient communes : les de Gray, les Cheverly, le duc de Compiègne, Mme d’Astour… En outre, assidue à toutes les expositions, elle connaissait mes principaux tableaux et en discutait avec un sens artistique des plus remarquables.

Nous déjeunâmes à Mâcon. Je notai chez le prince plus de brio peut-être, mais moins, de fond, une culture moins forte. Ainsi, quoique très épris de ma peinture, il en parla comme quelqu’un qui n’en aurait jamais contemplé le moindre spécimen. Au demeurant, délicieux convive, grand amateur de bourgogne et le supportant bien.

Ce qui me frappa le plus, dans le jeune couple, ce fut son exquise simplicité. Chose fort naturelle, me dira-t-on. Certes, mais ne sommes-nous pas enclins, malgré nous, à croire qu’il est difficile d’être simple quand on porte un des plus grands noms de France, et que l’on possède la plus grosse fortune territoriale du pays ?

Bref, ils me conquirent. La fin du voyage accentua notre intimité. La princesse s’y montra compagne délicieuse. Il faisait beau, le jour s’alanguissait dans la douceur d’un crépuscule admirable. Le son de notre voix s’émut.

Dirai-je qu’il y eut entre nous un peu plus que de la cordialité, et que sa manière d’être me permit de concevoir quelle espérance ? Non, et cependant, pourquoi parlions-nous avec tant de gravité ? Et quelle étrange harmonie de sentiments et de pensées nous fit vibrer devant les mêmes spectacles et mêla nos âmes dans une même exaltation !

À Aix on se sépara, mais il fut entendu qu’on se reverrait à Paris ; d’ailleurs, la princesse désirait vivement que je fisse son portrait.

Je pris le train, j’allai à Grenoble, et, mes affaires terminées, je n’eus rien de plus pressé que de revenir à Aix. Avouerai-je cette faiblesse ? La fréquentation des gens titrés ne m’est pas désagréable. Je suis de ceux à qui la particule impose encore une certaine déférence. Je déposai ma carte à la villa des Géricourt. Le