Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/259

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— Ah ! comme c’est mal !… Si j’avais prévu !… J’étais si heureuse…

Il se leva. Le train ralentissait. On devait approcher d’une station.

S’inclinant sur elle, il lui dit :

— Et s’il nous a suivis ? Il peut très bien nous avoir dépassés… et nous attendre là…

On s’arrêta. Un employé annonça : « Chaumont ». Le jeune homme baissa le rideau de la fenêtre de gauche et, l’écartant un peu, il examina les abords de la gare. Puis il dit :

— Veuillez donc regarder de l’autre côté… la route doit longer la voie.

Elle obéit. Et tandis qu’elle observait je m’aperçus que, tout en la surveillant, il glissait son bras hors du compartiment et, de sa main restée libre, tournait avec précaution le loquet intérieur.

Mon cœur battit étrangement, je l’avoue. La pauvre femme ! Mais que faire ? L’avertir ? Je fus sur le point de parler…

— Vous ne voyez rien ? demanda-t-il.

Le train repartait. Il ouvrit doucement, descendit sur le marchepied, et referma sans bruit.

— Personne, répondit-elle… à moins que… non, ce n’est pas lui…

On sortait de la gare. On en fut loin bientôt. Elle se retourna.

— Pierre !

Ah ! ce cri de détresse ! l’angoisse horrible de ce visage !…

Elle se précipita vers la portière. Le rideau baissé la gênant, elle l’arracha d’un coup. Puis je la vis que se penchait. La portière s’ouvrit.

— Que faites-vous ! m’écriai-je, vous n’allez pas descendre à cette vitesse ?

Je lui saisis le bras et l’écartai assez brutalement.

— Laissez-moi… Vous n’avez pas le droit… Je veux…

— Mais non, non, ce serait absurde… autant vous tuer…