Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/260

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J’avais réussi à l’entraîner jusqu’à l’extrémité du wagon. Mais elle se débattait avec désespoir. Et ce fut la lutte entre nous. Oui, une vraie lutte où je déployai toute ma force, où mes muscles se tendirent à la limite de leur puissance.

Nous roulâmes sur la banquette. Sa résistance m’exaspérait. Moi, un homme solide, vous le savez, et bien entraîné, moi, mis en échec par cette femme ! J’apportais à ce duel une sorte de rage. Mais elle, mon Dieu, quelle énergie surhumaine l’animait et la transformait ? J’aurais dû la réduire, la dompter… Pourtant, pourtant… je la sentais qui m’échappait… Un effort encore, et elle serait libre… Je me raidis. Mais voilà soudain, qu’elle me saisit à la gorge, et que cinq doigts nerveux, impitoyables, durs comme des griffes, m’étreignirent. Je lâchai prise.

D’un bond elle fut hors de ma portée. Oserait-elle sauter ? Non. Nous roulions à toute vitesse. Elle n’oserait pas.

Elle sauta.

Je m’étais relevé, un peu étourdi. Je m’approchai avec une certaine crainte de la portière ouverte par où elle s’était élancée, comme dans un abîme, et je regardai.

Je fus stupéfait. Là-bas, une femme franchissait un talus, traversait une prairie, et courait éperdument… Ô miracle de l’amour qui bouleverse les lois ordinaires et donne aux plus faibles tout ce qu’il leur faut pour vaincre et dominer le destin !…

Maurice LEBLANC.