Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/290

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Je m’inclinai devant elle, Mais elle s’abattit sur mon épaule en murmurant :

— Vite, vite… j’ai peur… on m’a entendue… on va nous poursuivre… ah ! Sauvez-moi…

Je l’emportai dans mes bras. Quelques secondes après, nous partîmes.

Les arbres noirs, le chemin étroit, la petite tour, le vieux parc, nous laissâmes tout cela derrière nous. Devant, bientôt, ce fut la route solitaire, des champs à droite et à gauche, l’espace libre.

Une allégresse singulière me souleva. J’eus la sensation exaltante d’un triomphe. En quelques jours, j’avais conquis ce que d’autres mettent des années à conquérir : le bonheur, l’amour…

Elle se taisait. Moi, ivre de joie, je me mis à parler, jetant des mots, des mots incohérents, fous, passionnés. Et je la regardais, sans souci des dangers de la route, m’abandonnant au hasard.

Elle posa doucement sa main sur mon bras et me dis :

— J’ai peur…

— Peur d’un accident, d’une chute ?

— Non… mais on doit nous suivre.

Elle se retourna, et, soudain, je la vis qui s’affaissait sur elle-même, avec un gémissement.

— Nous sommes perdus… les voilà…

— Allons donc, vous vous trompez…

Elle ne se trompait pas. M’étant retourné à mon tour, j’aperçus, peut-être à cinq cents mètres de nous, une automobile.

Ma nature me porte aux décisions brusques et nettes. Je savais l’automobile du comte bien supérieure à la mienne comme vitesse. À quoi bon lutter ? Rien ne me parut plus humiliant que cette chasse où j’aurais été, inévitablement, mathématiquement rejoint, comme un gibier que l’on force.