Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/296

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Et précipitamment elle s’écria :

— Mais personne ne le sait que moi, Monsieur… j’ai vu rentrer monsieur par hasard ce matin-là… et je jure que je n’ai rien dit… j’aime trop Monsieur…

Ainsi, d’après cette femme, le coupable c’était…

Je me mis à pleurer désespérément. Toute la journée je pleurai. Tant de preuves s’accumulaient qu’il ne me semblait pas possible d’échapper à une accusation aussi formidable. Il est vrai qu’on ne songeait pas à m’accuser… ou du moins les autres ne songeaient pas… Mais moi… est-ce que, dans les ténèbres de mon cerveau, toute une suite d’événements n’était pas en train de s’enchaîner avec la plus effroyable logique ?

Car enfin, admettons que cette nuit-là j’aie subi une crise de folie, que j’aie agi en état d’inconscience…… ou bien encore… au fait, tout enfant, n’étais-je pas sujet à des accès de somnambulisme ?… D’ailleurs, il y a bien des gens qui me jugent un peu bizarre, d’aucuns même détraqué.

Alors, qui sait ? J’aimais cette femme d’une telle passion ! je haïssais cet homme d’une telle haine ! Rien d’impossible à ce que j’aie combiné ce crime… à ce que je l’aie exécuté… à ce que je l’aie oublié…

Oublié ? En suis-je bien sûr ? Tant de cauchemars, depuis, ont agité mes nuits, cauchemars où la même vision revenait sans cesse un balcon que j’escalade… un homme qui dort… ma main qui se lève et qui frappe… Ah ! l’exécrable vision !

Je tombai malade.

Ce fut Charlotte qui me soigna, une Charlotte toute nouvelle, douce, affectueuse. Enfin je pus lui parler de mon amour à cœur ouvert. Elle l’accueillit avec bonne grâce. Elle aussi m’aimait, je le sentis.