Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’absurdité, jusqu’à l’héroïsme. Je le détestais, mais il forçait mon estime. De quoi n’était-il pas capable ? Je frissonnais en pensant à lui.

Il eut le bon goût de ne pas chercher à me revoir. Je lui en sus gré, mais cela m’irritait aussi. D’ailleurs, je n’admis pas un instant l’idée qu’il ne fit pas quelque nouvelle tentative. Et cette idée m’épouvantait.

Or, un jour, je reçus ces mots de lui :

« Je ne peux pas vivre ainsi, je ne le peux plus. Vous savez que je vous aime, mais je veux davantage. Dès que vous aurez cette lettre, venez sans réfléchir, venez, je vous en prie… Sinon la main qui trace ces lignes n’en tracera plus jamais d’autres. Vous comprenez, n’est-ce pas ? Cette main, c’est vous qui l’aurez tranchée, comme déjà… une fois… »

Mme Arnold se tut. Elle semblait bouleversée. Sans doute avait-elle regret de rappeler ces souvenirs pénibles.

Nous n’osâmes l’interroger, malgré la curiosité anxieuse qui nous étreignait. Ce ne fut que le soir, au dîner, qu’une de ces dames lui dit à brûle-pourpoint :

— À propos, ma chère, ce M. d’Arsac dont vous nous parliez tantôt, je le connais. L’année dernière je l’ai vu chez Molier. Il faisait de la barre fixe.

Mme Arnold rougit, garda le silence durant quelques secondes, puis, levant la tête, elle dit simplement et gravement :

— C’est donc qu’il a conservé ses deux mains.

Maurice LEBLANC.