Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/363

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Quelques minutes après, à la barrière de la ville, j’étais précipité dans une des guérites de l’octroi.

Et les chutes se succédèrent. Je ne doute pas qu’il y en ait eu plus de deux douzaines. Et combien effroyables, du haut de cet instrument vertigineux ! J’ai encore l’impression de culbutes inouïes sur des tas de cailloux et dans des fossés fleuris d’orties.

Comment n’y ai-je pas trouvé la mort ? Comment ne m’y suis-je pas cassé un membre ou deux ? C’est un mystère. Plusieurs fois je restai étendu, sans mouvement.

Et le difficile ensuite était de grimper sur mon bicycle. Seul je ne le pouvais pas. Il me fallait une borne, un marchepied, et, s’il n’y en avait pas, le secours d’un paysan. Alors j’attendais, brisé de fatigue, désespéré, jusqu’à ce que, hissé de nouveau sur l’infernal engin, j’en dégringolasse encore, après quelques kilomètres, pour embrasser les épines d’une haie ou serrer éperdument le tronc d’un arbre.

Souvenir d’angoisse et de torture, mais aussi souvenir qui me charme et dont je ne puis m’empêcher de concevoir une certaine fierté.

J’aimais, et j’allais vers mon amour malgré tous les obstacles et tous les périls. Rien ne m’arrêtait. Il me semblait que si mes jambes se fussent brisées, j’eusse marché quand même et que j’eusse gagné le but suprême.

Il me fallait aller, et j’allais. Mon corps n’était que contusions. Mes mains, mes genoux me brûlaient, ensanglantés, pleins de poussière et de graviers. Et je n’en pouvais plus. Ma tête éclatait. Des griffes de fer m’étreignaient à la nuque.

Mais, là-bas, au seuil de la jolie maison blanche aux volets roses, est-ce que tante Suzanne ne m’attendait pas, impatiente et radieuse ?

Et j’allais…