Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/365

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d’étoiles. La lune surgit des collines boisées. Je me mis à pleurer.

Et sa main effleura mes yeux et se mouilla de mes larmes…

Ces jours-ci, j’ai passé en automobile par Thibermesnil.

Depuis des années et des années, je n’avais pas vu tante Suzanne. Elle a des cheveux gris maintenant. Son mari est mort. Elle vit seule, dans la bonne paix des campagnes, toujours charmante, toujours jeune de sourire et de regard.

Elle m’a montré les changements qu’elle avait apportés à sa maison, la nouvelle buanderie, les celliers, le potager, les serres.

À côté de l’orangerie, il y a une petite pièce étroite. Elle hésita à en pousser la porte, puis, se décidant, l’ouvrit.

Parmi des instruments de jardinage, au fond, accroché au mur, j’aperçus mon bicycle, mon grand diable de bicycle à la roue tordue, aux rayons cassés, tel enfin qu’on avait dû le ramasser à cent pas de la maison, lors de ma dernière chute.

Tante Suzanne dit en rougissant :

— Je l’ai gardé…

Et dans ces quelques mots, dans son air un peu mélancolique, je sentis toute l’âme honnête et pure de la femme qui, le long de sa vie irréprochable, conserve précieusement, unique révélation de l’amour, le pauvre petit souvenir d’un enfant qui l’aima… huit jours peut-être…

Maurice LEBLANC.