Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

Au delà des Douleurs Humaines

Séparateur

Je ne connais rien dans l’antiquité légendaire qui soit plus effroyablement tragique que la vie de l’infortunée comtesse d’Argant. La fatalité qui s’acharna sur les Atrides ou sur Œdipe ne fut pas plus inflexible ni plus absurde. Ici comme là, l’épouvante est la même. Les dieux frappent comme des fous. La créature humaine est un jouet contre lequel s’exerce leur cruauté perverse.

Et peut-être le destin de la comtesse d’Argant surpasse-t-il en atrocité tout ce qu’a pu imaginer le sombre génie d’un Sophocle. Il le surpasse en ce qu’il n’est même pas mystérieux. La grande ombre du mystère ne l’a jamais enveloppé, ne lui a jamais caché le redoutable avenir,

Œdipe ne savait pas, ne voyait pas où il allait. Mme d’Argant ne put se réfugier dans l’illusion. Chez elle, le malheur revient à date trop fixe pour qu’il soit possible d’espérer. Il ne rôde pas sournoisement autour de la demeure, attendant la minute propice pour se présenter. Non. À l’heure dite, il ouvre la porte et il entre.

L’imprévu n’existe pas pour la comtesse. Chaque douleur est d’autant plus terrible qu’elle était attendue ! Tout cela prend des apparences géométriques. Et, dans la période normale de sa vie comme dans la période torturante, les événement se produisent, non point comme des événements humains soumis aux vicissitudes du hasard, mais comme des phénomènes physiques régis par l’ordre inéluctable et régulier des lois universelles.

Cette vie, la voici, sans aucun commentaire qui en interrompe l’exposé.

D’ailleurs, en l’occurrence, une douzaine de dates, chacune accompagnée de trois mots, suffiraient à donner le grand frisson d’épouvante.