Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/388

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Chaque matin, de terrasse en terrasse, passe le docteur Widmer. Il me plairait de voir en lui ce qu’on pourrait appeler un directeur de volonté, comme on dit un directeur de conscience. C’est entre ses mains qu’en arrivant, on dépose sa volonté. D’une intelligence aiguë, d’une intuition vraiment surprenante, il vous dirige comme il faudrait qu’on se dirigeât si l’on avait la connaissance exacte son tempérament. Il semble qu’il possède une balance mystérieuse et infaillible où il pèse vos forces du jour, le nombre de pas que vous êtes capable de faire, le poids des aliments que vous pouvez assimiler. Il pense pour vous, il veut pour vous. Là, on vit tout simplement, on vit à la façon d’une plante que soignerait un jardinier miraculeux. Et c’est exquis.

Au dernier séjour que je fis à Val-Mont en avril, le soir de mon arrivée, je restai tard sur ma terrasse. Les lampes électriques étaient éteintes dans le jardin. Tous les pensionnaires étaient remontés. On dormait.

Çà et là, sur le lac, des groupes de lumières brillaient. C’était Villeneuve et Montreux, c’était le Bouveret et Saint-Gingolph. La lune planait au-dessus des montagnes, emplissant l’espace d’une grande paix radieuse.

Un bruit attira mon attention ; je me rendis compte que mon voisin de droite s’attardait, lui aussi, à respirer la fraîcheur de la nuit. Il devait fumer, car une odeur de tabac me parvint. Puis il y eut un long silence. Le sommeil me gagnai, je me levai.

À ce moment, une ombre se profila sur la droite. M’étant avancé, je vis mon voisin qui enjambait le balcon de sa terrasse.

Je me penchai. Il descendit, je ne sais trop comment, se laissa tomber sur la corniche très proéminente qui entoure le premier étage et disparut.