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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

Sensations à côté

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Au Bois, Mme Angély, 28 ans, veuve. D’Estrignat, 35 ans. Ils se connaissent depuis quelques mois. Vive sympathie. Flirt, mais aucune émotion ne les a réunis encore dans un même désir de s’aimer.

Elle. — Alors, c’est décidé, vous partez demain matin en auto pour Dieppe ?

Lui. — À neuf heures.

Elle. — Par Rouen ?

Lui. — Par Pontoise.

Elle. — Et vous arriverez ?

Lui. — Vers sept heures du soir.

Elle. — Comment ! dix heures pour un trajet si court ! Et avec votre vingt-quatre chevaux | L’année dernière, j’ai mis cinq heures avec une quatorze-vingt.

Lui. — C’est que l’automobile est pour vous, comme pour tout le monde d’ailleurs, un moyen de locomotion, un chemin de fer individuel. Étant donné, le point À et le point B, aller du point A au point B dans le plus petit espace de temps possible… et par la route la plus banale.

Elle. — Que faites-vous donc, vous ?

Lui. — Moi ? Je m’arrête. Entre le point A et le point B, il y a toujours des points qui valent la peine qu’on s’y arrête.

Elle. — Je ne vois pourtant, entre Paris et Dieppe, ni grotte, ni précipice, ni chaîne de montagnes, ni cascade bouillonnante.

Lui. — Et les petites villes ? Sachez ceci : il n’y a pas une seule route en France au bord de laquelle ne repose, de dix lieues en dix lieues, quelqu’une de ces vieilles petites villes charmantes et passionnantes où il est si bon de se promener un instant, ne fût-ce qu’une heure. Toutes, elles offrent quelque chose à notre admiration, un portail d’église, un donjon en ruines, l’ombre d’un jardin séculaire. Toutes elles ont un parfum spécial et suranné qu’il est délicieux de respirer.