Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/441

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petit espace capitonné qu’elle occupait. Et une troisième fois elle revit l’Arc de Triomphe, mais cette fois l’automobile s’engagea dans l’avenue Kléber. Henriette demeurait auprès du Trocadéro. Allait-il la mener vers sa demeure ? Elle en eut l’espoir. Et, de fait, on arriva sur la place, on prit la rue Le Tasse, et l’on s’arrêta devant la maison.

Et avant qu’elle eût le temps de descendre, l’homme sauta de son siège, ouvrit la portière, enleva sa casquette et dit respectueusement :

— Madame m’excusera si j’ai dû employer…

— Mais, Monsieur…

— Non, Madame, pas Monsieur, Que Madame m’appelle simplement Alfred. Oui, Alfred, chauffeur. Il y a trois mois, le mari de Madame a refusé de m’engager, sous prétexte que je ne savais pas conduire. Moi, Alfred, ne pas savoir conduire !… J’ai voulu prouver à Madame qu’il n’y avait pas beaucoup de chauffeurs de ma trempe.

— Mais enfin, je n’admets pas…

— Alors, pendant la visite de Madame, j’ai emmené Paul dans un cabaret… il boit beaucoup, Paul… Madame ne s’en est pas aperçue ?… Il doit dormir là-bas, sur une chaise… tandis que, moi, avec ses vêtements…

Paul, en effet, n’était pas ennemi du petit verre, Henriette fut à même de le constater par la suite. Aussi dut-on le congédier.

Plusieurs chauffeurs furent essayés tour à tour.

Aujourd’hui, c’est Alfred qui a l’honneur de diriger l’automobile de Mme Gernal. Avec Alfred Mme Gernal est absolument tranquille. Il n’est peut-être pas très scrupuleux au point de vue de l’essence. Mais il conduit si bien ! Il a fait ses preuves, celui-là…

Maurice LEBLANC.