Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/83

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Mais enfin, que voulait-elle ? Éprouver mon courage, m’étonner ? Avait-elle fait le pari absurde, partie la dernière, d’arriver en tête à Cannes ?

Soudain un frisson me secoua. Nous étions parvenus au haut de la côte, et devant nous la route, descendant l’autre versant, semblait plonger dans l’abîme.

Épouvanté, je m’écriai :

— Je suppose que vous ne serez pas assez…

Ma voix s’étrangla. Un tournant brusque, et dans ce tournant, une voiture… Nous passâmes.

J’aurais voulu l’injurier, ou bien la supplier, ou la battre… À quoi bon ! Je sentais auprès de moi une force invincible, quelque chose de fatal et d’inéluctable contre quoi j’étais impuissant, contre quoi le monde entier eût été impuissant.

Ma tête bourdonnait, j’avais peur, effroyablement peur. À tout instant c’était la mort que nous frôlions. La route devenait de plus en plus étroite. Aucun parapet… des tournants imprévus… Oh ! comme j’avais peur, mais peur au point de trembler réellement… Cette voiture au milieu du chemin, et ce landau égaré dans la course, allions-nous les passer ? Nous passions, quel miracle ! Mathématiquement, il n’y avait pas la place nécessaire, c’était le choc inévitable, la chute dans le gouffre… nous passions.

Et je ne vois plus. Le vertige m’avait pris. Mes yeux se fermaient. L’abominable femme !

Un moment la route est libre, sans obstacles, et toute droite devant nous. Nous devons être maintenant en tête du cortège et dans la plaine qui précède Cannes. Et puis voilà des pavés, des rails, des tramways qui nous croisent, le danger qui se multiplie sous toutes les formes et à tous les coins de rue…