Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/82

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— Je vous admire, madame, vous conduisez avec une assurance… Ne croyez-vous pas cependant ?…

Je n’osai achever, honteux de mon inquiétude.

Mais vraiment je commençais à pester contre l’imprudente qui gâtait ma joie de touriste. N’avait-elle donc pas conscience du danger qu’elle nous faisait courir ? Du coin de l’œil, je l’observais. Elle avait les mains nues, des mains infiniment petites, chargées de bagues énormes et d’un prix inestimable. Oh ! ces petites mains, si mon inexpérience ne me l’avait pas défendu, comme j’aurais voulu les écarter du volant mystérieux et de toutes ces manettes compliquées : dont elles jouaient si adroitement !

Le Trayas, un hôtel, une gare… je vis tout cela dans un songe… Nous allions comme des fous. À chaque voiture dépassée je poussais un soupir de soulagement. Une longue côte à lacets innombrables me fit espérer un peu de répit. Il n’en fut rien. Nous l’escaladâmes à toute allure, par bonds exaspérés.

Je me mis à parler autant pour m’étourdir que pour distraire l’attention de ma compagne et l’obliger à tourner la tête et à ralentir.

— Est-ce beau ! Regardez… cette mer… cet horizon… et, derrière nous, tout le long de la côte, ces automobiles qui montent, comme de petites bêtes patientes et laborieuses, à la conquête du ciel. On dirait une théorie de petites fourmis… Regardez…

Elle ne regardait rien, et nous allions, nous allions…

— Mais arrêtez… il n’y a pas de place !

Ce cri m’avait échappé : il était impossible de passer entre ce rocher et cette voiture ! C’était de la démence ! Nous passâmes cependant.