Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/88

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courbait davantage sur son guidon. Mais, à l’entrée du carrefour, elle éclata de rire et, d’un effort, se redressa.

Au même moment un coup de feu partit, une balle siffla à mon oreille. Puis une autre détonation, mon chapeau fut emporté. Derrière nous un juron retentit.

— Vite ! vite ! s’écria-t-elle, pesant de tout son poids sur les pédales.

Et nous nous enfuîmes.

Ce fut une course folle par les mauvais sentiers de la forêt, puis la traversée d’un village et de prairies bordées de peupliers. Et la Seine nous barre le chemin. Tout près, il y avait un verger où nous nous réfugiâmes.

— Là, là, dit-elle, nous sommes bien. D’ailleurs, il ne nous à pas suivis.

— De qui parlez-vous ? lui demandai-je.

— Mais… de mon mari.

— Comment, c’est lui… ?

— C’est lui qui a tiré, parfaitement.

Je devais avoir l’air assez drôle, car elle pouffa de rire.

— Eh bien quoi, vous avez peur maintenant ?

Je m’approchai d’elle, et lui prenant la main non sans quelque brutalité :

— Vous saviez que votre mari était posté là ?

— Oui.

— Alors, pourquoi ?

— Ah ! voilà, c’est difficile à expliquer… une idée de femme… Figurez-vous que nous nous aimons beaucoup, Adrien et moi… moi surtout… je l’adore. Lui, lui, c’est autre chose, il m’aime par moments, à d’autres pas assez… pas comme je voudrais être aimée. Il n’est pas jaloux, voilà ! ou du moins je m’imaginais qu’il ne l’était pas. Cela m’agaçait, et je me disais : « Après tout, il ne l’est pas parce qu’il n’a pas à l’être… mais s’il en avait l’occasion ? » Alors, j’ai voulu voir, et j’ai fait mettre cette annonce dans le journal, et à lui j’ai écrit une lettre anonyme : « Monsieur, votre femme aime un