Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/89

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autre homme. Soyez mardi prochain, vers six heures, au carrefour du Maudit. Vous les verrez passer. » Et il est venu, et vous voyez, il est jaloux, contrairement à ce que je pensais, assez jaloux pour avoir essayé de nous tuer…

J’avoue qu’il me fallut un certain effort de volonté pour ne point me jeter sur elle et la rouer de coups. Quoi ! c’était là l’âme fraîche et ingénue qui m’avait charmé, la créature enjouée, claire et si candide, dont le sourire m’avait semblé pur comme un sourire d’enfant !

Je la regardai longtemps sans qu’elle baissât les yeux. Et vraiment ces yeux avaient une pureté indicible, des yeux de vierge qui ne ment pas et dont l’âme est réellement ingénue et fraîche, des yeux de femme, une âme de femme, voilà tout.

Elle me dit :

— Vous êtes fâché ?

— Non, non, répondis-je, comprenant l’inutilité absolue de tout raisonnement. Seulement… expliquez-moi… vous n’étiez pas sans vous douter de ce qui pouvait nous arriver. Vous supposiez possible ce coup de fusil ?

— Évidemment, et c’était presque agréable, cette attente, et affreux en même temps… Quelle sensation j’ai eue en approchant !… Était-il là ? Que ferait-il !


J’eus envie de lui demander :

— Eh bien, et moi, dans toute cette affaire ? Car enfin, vous n’étiez pas seule. le danger était le même pour nous deux… Que vous l’affronteriez, soit ; mais moi, un inconnu, un étranger…

Mais à quoi bon lui demander cela ? Elle n’eût pas compris. Le mieux était de partir, c’est ce que je fis, avec un salut très respectueux.

Maurice LEBLANC.