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— Parfaitement, c’est ici. Qui dois-je annoncer ?

— M. Kesselbach a téléphoné… il m’attend…

— Ah ! c’est vous… je vais prévenir… voulez-vous patienter une minute ?… M. Kesselbach va vous parler.

— Il eut l’audace de laisser le visiteur sur le seuil de l’antichambre, à un endroit d’où l’on pouvait apercevoir, par la porte ouverte, une partie du salon. Et, lentement, sans même se retourner, il rentra, rejoignit son complice auprès de M. Kessebach, et lui dit :

— Nous sommes fichus. C’est Gourel, de la Sûreté… Prends ton couteau.

Il lui empoigna le bras.

— Non. Pas encore. J’ai une idée. Mais, pour Dieu, comprends-moi bien, Marco, et parle à ton tour… Parle comme si tu étais Kesselbach… Parle, Marco, tu es Kesselbach.

Il s’exprimait avec un tel sang-froid et une autorité si violente que Marco comprit sans plus d’explication qu’il devait jouer le rôle de Kesselbach, et prononça, de façon à être entendu :

— Vous m’excuserez, mon cher. Dites à M. Gourel que je suis désolé, mais que j’ai à faire par-dessus la tête… Je le recevrai demain matin, à neuf heures, oui, à neuf heures exactement.

— Bien, souffla l’autre, ne bouge plus.

Il revint dans l’antichambre. Gourel attendait. Il lui dit :

— M. Kesselbach s’excuse. Il achève un travail important. Vous est-il possible de venir demain matin, à neuf heures ?

Il y eut un silence. Gourel semblait surpris et vaguement inquiet. Au fond de sa poche, la main de l’homme se crispait à la poignée d’un couteau. Un geste équivoque, et il frappait.

Enfin, Gourel dit :

— Soit… À demain, neuf heures… mais tout de même… Eh bien, oui, neuf heures, je serai là…

Et remettant son chapeau, il s’éloigna par les couloirs de l’hôtel.

Marco, dans le salon, éclata de rire.

— Rudement fort, patron. Ah ! ce que vous l’avez roulé !

— Débrouille-toi, Marco, tu vas le filer. S’il sort de l’hôtel, lâche-le retrouve Jérôme aux omnibus, comme convenu… et téléphone.

Marco s’en alla rapidement.

Alors l’homme saisit une carafe sur la cheminée, se versa un grand verre d’eau qu’il avala d’un trait, mouilla son mouchoir, baigna son front que la sueur couvrait, s’assit auprès de son prisonnier et lui dit avec une affectation de politesse :

— Il faut pourtant bien, monsieur Kesselbach, que j’aie l’honneur de me présenter à vous.

Et tirant une carte de sa poche, il prononça :

— Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur.


II


Le nom du célèbre aventurier sembla faire sur M. Kesselbach la meilleure impression. Lupin ne manqua pas de le remarquer et s’écria :

— Ah ! ah ! cher monsieur, vous respi-