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les chambres contiguës ? Elles communiquent avec l’appartement ?

— Oui, mais les portes de communication sont toujours verrouillées des deux côtés.

— Alors, je téléphone à la Sûreté, dit Gourel, pour qui, visiblement, il n‘existait point de salut en dehors de son chef.

— Et au commissariat, observa-t-on.

— Oui, si ça vous plaît, répondit-il du ton d‘un monsieur que cette formalité intéresse peu.

Quand il revint du téléphone, le serrurier achevait d’essayer ses clefs. La dernière fit jouer la serrure. Gourel entra vivement.

Aussitôt il courut à l‘endroit d‘où venaient les plaintes et se heurta aux deux corps du secrétaire Chapman et domestique Edwards. L‘un d‘eux, Chapman, à force de patience, avait réussi à détendre un peu son bâillon, et poussait de petits grognements sourds. L‘autre semblait dormir.

On les délivra. Mais Gourel s‘inquiétait.

— Et M. Kesselbach ?

Il passa dans le salon. M. Kesselbach était assis et attaché au dossier du fauteuil, près de la table. Sa tête était incliné sur sa poitrine.

— Il est évanoui, dit Gourel, en approchant de lui. Il a dû faire des efforts qui l‘ont exténué.

Rapidement il coupa les cordes qui liaient les épaules. D‘un bloc, le buste s‘écroula en avant. Gourel l‘empoigna à bras-le-corps, et recula en poussant un cri d‘effroi.

— Mais il est mort ! Tâtez… les mains sont glacées et regardez les yeux !

Quelqu’un hasarda :

— Une apoplexie, sans doute… ou une rupture d’anévrisme.

— En effet, il n’y a pas trace de blessure… c’est une mort naturelle.

On étendit le cadavre sur le canapé et l’on défit ses vêtements. Mais, tout de suite, sur la chemise blanche, des tâches rouges apparurent, et dès qu‘on l’eut écartée, on s‘aperçut que, à l’endroit du cœur, la poitrine était trouée d’une petite fente par où coulait un mince filet de sang.

Et sur la chemise était épinglée une carte.

Gourel se pencha. C’était la carte d’Arsène Lupin, toute sanglante elle aussi.

Alors Gourel se redressa, autoritaire et brusque :

— Un crime !… Arsène Lupin !… sortez… sortez tous… que personne ne reste dans ce salon ni dans la chambre… qu‘on soigne ces messieurs dans une autre pièce !… sortez tous… et qu‘on ne touche à rien… Le chef va venir !


III


Arsène Lupin !

Gourel répétait ces deux mots fatidiques d’un air absolument pétrifié. Ils résonnaient en lui comme un glas. Arsène Lupin ! le grand, le formidable Arsène Lupin ! le bandit-roi ! l’aventurier suprême ! Voyons, était-ce possible ?

— Mais non, mais non, murmura-t-il, ce n’est pas possible, puisqu’il est mort !

Seulement, voilà… était-il réellement mort ?

Arsène Lupin !

Debout près du cadavre, il demeurait stupide, abasourdi, tournant et retournant la carte avec une certaine crainte comme s’il venait de recevoir la provocation d’un fantôme. Arsène Lupin ! Qu’allait-il faire ? Agir ? Engager la bataille avec ses propres ressources ? Non, non… il valait mieux ne