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ARSÈNE LUPIN

» Le Juge. — Alors, de toute la nuit, vous n’auriez rien entendu du tout ?

» Le Concierge. — Ah ! Si… dès que nous avons été bâillonnés, spa.

» Le Juge. — Oh ! mais c’est important, ça… Et d’où venait le bruit ?

» Le Concierge. — Eh bien, d’ici, la loge est juste au-dessous.

» Le Juge. — Quel genre de bruit ?

» Le Concierge. — Des bruits sourds, des bruits de pas et comme si on cassait des meubles.

» Le Juge. — Vous n’avez pas entendu des bruits de lutte, des cris comme si on entraînait quelqu’un ?

» Les deux Concierges, se regardant. — Non.

» Le Juge. — Vous en êtes bien sûrs ?

» Les deux Concierges. — Oui.

» Le Juge. — Hum ! Il y a combien de temps que vous êtes au service de M. Gournay-Martin ?

» Les deux Concierges. — Il y a un an.

» Le Juge. — C’est bien, je vous reverrai tout à l’heure. (Les deux concierges se lèvent à ce moment. L’agent entre et remet une liasse de papiers au juge.) Attendez !… (D’un ton plus sévère, au concierge.) Ah ! mais, mais, dites donc, je vois que vous avez été condamné deux fois…

» Le Concierge. — Monsieur le juge, mais…

» La Concierge, vivement. — Mon mari est un honnête homme, monsieur, vous n’avez qu’à demander à monsieur le duc !

» Le Juge. — Je vous en prie ! (Au concierge.) Vous avez eu une première condamnation à un jour de prison avec sursis et une deuxième condamnation où vous avez fait trois jours de prison. (Au commissaire.) Oui, regardez…

» Le Concierge. — Dame ! monsieur le juge, je ne peux pas nier, mais c’est de la prison honorable.

» Le Juge. — Comment ?

» Le Concierge. — Oui, monsieur le juge, la première fois, j’étais alors valet de chambre, c’est pour avoir crié, le premier mai : « Vive la grève ! »

» Le Juge. — Vous étiez valet de chambre chez qui ?

» Le Concierge. — Chez M. Jaurès.

» Le Juge. — Ah ! bon, et votre deuxième condamnation ?

» Le Concierge. — C’est pour avoir crié sur le seuil de Sainte-Clotilde : « Mort aux vaches ! »

» Le Juge. — Hein ! Et vous serviez alors chez M. Jaurès ?

» Le Concierge. — Non, chez M. Baudry d’Asson.

» Le Juge. — Vous n’avez pas de convictions politiques bien arrêtées.

» Le Concierge. — Si ! Je suis dévoué à mes maîtres.

» Le Juge. — C’est bien, vous pouvez vous retirer. (Ils sortent.) Ces imbéciles-là disent l’absolue vérité ou je ne m’y connais plus.

» Le Duc. — Oh ! je crois que ce sont de braves gens. »

Le Juge, au commissaire. — Sur ce, commissaire, nous allons visiter la chambre de Victoire… (Au duc.) Ce lit défait ne m’inspire qu’une médiocre confiance. « Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille. »

Le Duc. — Je vous accompagne ? Je ne suis pas indiscret ?

Le Juge. — Vous plaisantez ! Tout ceci vous touche d’assez près.

Ils sortent. La scène reste vide un moment.


Scène III

GUERCHARD, UN AGENT

L’Agent, empressé. — Je vais prévenir M. le juge de l’arrivée de monsieur Guerchard.

Guerchard. — Non, ce n’est pas la peine, ne dérangez personne pour moi… Je n’ai aucune importance.

L’Agent, protestant. — Oh !

Guerchard, inspectant des yeux. — Aucune… Pour l’instant, c’est le juge d’instruction qui est tout… Je ne suis qu’un auxiliaire.

L’Agent. — Le juge d’instruction et le commissaire visitent la chambre de la femme de charge. C’est tout là-haut, on prend l’escalier de service, on tourne par le corridor. Monsieur l’inspecteur veut-il que je l’y mène ?

Guerchard, sortant son mouchoir. — Non, je sais où c’est.

L’Agent. — Ah !

Guerchard. — Oui, (Il se mouche.) j’en viens.

L’Agent, avec admiration. — Ah ! monsieur Guerchard est plus malin à lui tout seul que tous les juges d’instruction réunis.

Guerchard, se levant. — Il ne faut pas dire ça, mon ami. Je ne puis vous empêcher de le penser, mais il ne faut pas le dire.

Il se dirige vers la fenêtre.

L’Agent, montrant l’échelle. — Monsieur l’inspecteur a remarqué. Il est possible que c’est par cette échelle que sont arrivés et repartis les cambrioleurs.

Guerchard, patiemment. — Merci, mon ami.

L’Agent. — Ils ont même laissé un guéridon sur le rebord de la fenêtre.

Guerchard, agacé, mais poli, souriant. — Oui, merci.

L’Agent. — Et on ne croit pas que ce soit Lupin. On croit que c’est un truc.

Guerchard. — Je vous remercie.

L’Agent. — Monsieur Guerchard n’a plus besoin de moi ?

Guerchard, souriant. — Non, au contraire.

Sort l’agent. Guerchard, resté seul, allume une cigarette, va vers le coffre, puis ramasse un bouton qu’il examine, tout en restant accroupi. Il se dirige jusqu’à la cheminée, jette un regard sous le paravent, se relève en souriant, comme s’il comprenait, va vers le livre, le soulève, voit des traces de plâtre, calcule la distance vers la fenêtre à l’aide de pas égaux, examine les traces de plâtre qui sont sur la fenêtre, pareilles à celles qui sont sous le livre, aperçoit la maison en construction, enjambe et disparait aux premiers mots du juge qui revient.


Scène IV

LE DUC, L’AGENT, puis GOURNAY-MARTIN, GERMAINE, puis GUERCHARD

Le Juge, toujours très important. — C’est certain, le désordre de la chambre et du lit est voulu… Nous tenons un complice. Nous aurons au moins cette bonne nouvelle à annoncer à M. Gournay-Martin. À propos, à quelle heure arrive-t-il ?

Le Duc. — Je ne sais pas, il devait prendre le train de huit heures douze.

Le Juge. — Ils arriveront toujours assez tôt.