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L’ILLUSTRATION THÉÂTRALE

L’Agent, entrant, solennel. — Messieurs, c’est la famille.

Gournay-Martin arrivant par la porte de gauche avec Germaine.

Gournay-Martin, d’une voix étranglée. — Misérables ! (Il va vers le petit salon.) Bandits ! (Il revient, voit le reste de la pièce.) Canailles !

Il s’effondre.

Germaine. — Papa, ne crie plus, tu es enroué !

Gournay-Martin. — Oui ! oui ! ça ne sert à rien. (criant de nouveau.) Mon mobilier Louis XIV !… tous mes tableaux… mes merveilleux tableaux !…

Le Juge. — Monsieur Gournay-Martin… je suis désolé… je suis tout à fait désolé ! (Gournay-Martin le regarde en hochant la tête. Il se présente.) Monsieur Formery, juge d’instruction.

Gournay-Martin. — C’est une tragédie, monsieur le juge, c’est une tragédie.

Le Juge. — Ne vous désolez pas. Nous les retrouverons vos chefs-d’œuvre. Et puis, quoi, ils auraient pu faire pis. Votre diadème n’a pas été enlevé.

Le Duc, près du coffre. — Non. On n’a pas touché à ce coffre-fort. Voyez… il est intact.

Gournay-Martin. — C’est ça qui m’est égal… il était vide.

Le Duc. — Vide… mais votre diadème ?…

Gournay-Martin, se retournant vers le juge, la voix sourde et terrifiée. — Ah ! mon Dieu… On me l’a pris ?

Le Duc, se rapprochant. — Mais non, mais non… puisque ce coffre-fort…

Gournay-Martin. — Mais le diadème n’a jamais été dans ce coffre-fort-là… Il était… (Bas au juge.) A-t-on cambriolé ma chambre ?

Le Juge. — Non.

Le Duc. — On n’a pénétré dans aucun des appartements du premier.

Gournay-Martin. — Ah !… Alors, je suis tranquille… le coffre-fort, dans ma chambre, n’avait que deux clefs… En voici une et l’autre est dans ce coffre-fort-là !

Le Juge, important, comme s’il avait sauvé le diadème. — Vous voyez !

Gournay-Martin. — Je vois, je vois… (Éclatant.) je vois qu’on m’a dévalisé ! pillé !… Où est Guerchard ? Avez-vous une piste, un indice ?

Le Juge, d’un air entendu. — Oui, Victoire, la femme de charge.

Germaine. — Victoire ?

Gournay-Martin. — Où est-elle ?

Le Juge. — Elle a disparu.

Gournay-Martin. — Disparu ! mais il n’y a plus une seconde à perdre… il faut…

Le Juge. — Voyons ! calmez-vous, calmez-vous. Je suis là.

Le Duc. — Oui, calmez-vous, voyons !

Gournay-Martin. — Vous avez raison, je suis calme.

Le Juge. — Nous avons tout lieu de croire qu’il y a d’autres complices, que ce cambriolage a été préparé de longue main et à coup sûr par des gens qui, non seulement, connaissent votre maison, mais encore sont au courant de vos habitudes.

Gournay-Martin. — Oui !…

Le Juge. — Je désirerais savoir si, auparavant, il n’y a jamais eu de vol commis chez vous ? Vous a-t-on déjà volé ?

Gournay-Martin. — Il y a trois ans…

Le Juge. — Je sais…

Gournay-Martin. — Mais depuis, ma fille, elle, a été volée.

Le Juge. — Ah !

Germaine. — Oui, depuis trois ans.

Le Juge. — Ah ! par exemple… mais il eût fallu nous prévenir ! C’est très intéressant, voyons, c’est capital ! Et c’est Victoire que vous soupçonnez ?

Germaine. — Oh ! non, les deux derniers vols ont été commis au château et Victoire se trouvait à Paris.

Le Juge, après un silence. — Tant mieux… tant mieux. Voici qui confirme notre hypothèse…

Gournay-Martin. — Laquelle ?

Le Juge, pensif. — Laissez ! Eh bien, voyons, mademoiselle, ces vols ont commencé chez vous, il y a trois ans ?

Germaine. — Vers le mois d’octobre ?

Le Juge. — Et c’est au mois d’octobre 1905 que monsieur Gournay-Martin, après une première lettre de menaces était, comme aujourd’hui, victime d’un cambriolage.

Gournay-Martin. — Ah ! Oui ! Les canailles !

Le Juge. — Il serait donc intéressant de savoir quel est celui de vos domestiques qui est entré à votre service il y a trois ans ?

Gournay-Martin. — Victoire n’est chez nous que depuis un an.

Le Juge, dérouté, après un temps. — Précisément. (À Germaine.) Mademoiselle, quel est le dernier vol dont vous avez été victime ?

Germaine. — Il remonte à deux mois. On m’a volé une broche avec des perles et pouvant former pendentif… un peu comme le pendentif que vous m’avez donné, Jacques.

Le Juge, à Germaine. — Ah ! Pourrais-je voir ce pendentif ?

Germaine. — Oui. (Au duc.) Vous l’avez, n’est-ce pas ?

Le Duc. — Je l’ai… j’ai l’écrin.

Germaine. — Comment l’écrin ?

Le Duc. — Oui, l’écrin était vide.

Germaine. — Vide ? Non, c’est impossible.

Le Duc. — À peine étiez-vous sortie… j’ai ouvert l’écrin sur le chiffonnier et il était vide ?

Le Juge. — Ce pendentif, ne l’aviez-vous pas déjà surpris aux mains du jeune Charolais ?

Le Duc. — Oui… Trois quarts d’heure auparavant, il pouvait être six heures.

Germaine. — Je réponds qu’à sept heures et demie, quand je suis montée m’habiller, dix minutes avant de partir, le pendentif était dans l’écrin, sur le chiffonnier.

Gournay-Martin. — Un vol ! On l’a volé !

Le Duc. — Mais non… C’est Irma, certainement, qui l’aura emporté pour vous, ou bien Mlle Kritchnoff.

Germaine. — Pas Mlle Kritchnoff, toujours… puisqu’elle m’a dit dans le train : « Pourvu que le duc n’ait pas oublié d’emporter votre pendentif ! »

Le Duc. — Alors, c’est Irma.

Germaine, appelant. — Irma ! Irma !

Irma, entrant à gauche. — Mademoiselle…

Germaine. — Ah ! justement, Irma…

Le Juge. — Non, pardon. (À Irma.) Mademoiselle, approchez… ne vous troublez pas… Avez-vous emporté le pendentif pour votre maîtresse ?

Irma. — Moi… non, monsieur.

Le Juge. — Vous en êtes sûre ?

Irma. — Dame !… oui ! monsieur. D’ailleurs, est-