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L’ILLUSTRATION THÉÂTRALE

Le Duc. — Je ne trouve pas.

Le Juge. — Oui, enfin je me plaçais à un point de vue professionnel… On n’a pas bien cherché. Elle doit être quelque part, la femme de charge ! A-t-on regardé dans toutes les pièces ?

Le Commissaire. — Oh ! dans toutes les pièces, monsieur le juge.

Le Juge. — Diable ! Diable ! Pas de lambeaux de vêtements ? pas de traces de sang ? pas de crime ? Rien d’intéressant ?

Le Commissaire. — Rien, monsieur le juge.

Le Juge, entre ses dents. — Regrettable !… Où couchait-elle ?… Son lit est défait ?

Le Commissaire. — Elle couchait en haut, au dessus de la lingerie. Le lit est défait et il semble qu’elle n’ait pas emporté de vêtements.

Le Juge, grave. — Extraordinaire !… Cette affaire là m’a l’air compliqué.

Le Duc. — Aussi, ai-je téléphoné à Guerchard, il va venir.

Le Juge, vexé. — Oui, oh ! oui… oh ! vous avez bien fait ! M. Guerchard est un bon collaborateur… un peu énervant, un peu fantaisiste, un peu visionnaire, bref, un toqué. Mais quoi, c’est Guerchard… Seulement, comme Lupin est sa bête noire, il trouvera encore moyen de nous embêter avec cet animal-là. Vous allez voir encore mêler Lupin à tout cela.

Le Duc. — Dame ! (Regardant les signatures.) On l’y mêlerait à moins.

Le Commissaire. — Monsieur le juge, croyez-moi. C’est surtout en matière criminelle qu’il faut se défier des apparences… Oh ! non, je vous en prie, ne touchez à rien.

Le Duc, qui s’est baissé. — Oh ! ce n’est qu’un livre. (Le remettant.) Tiens !

Le Juge. — Quoi donc ?

Le Duc. — Ça n’a peut-être pas d’importance, mais c’est certainement un livre que les voleurs ont fait choir de cette table.

Le Juge. — Eh bien ?

Le Duc. — Eh bien, il y a une trace de pas sous ce livre.

Le Juge, incrédule. — Une trace de pas sur un tapis ?

Le Duc. — Oui, le plâtre se voit sur un tapis.

Le Juge, se baisse. Le commissaire reste accroupi près de lui. — Du plâtre… pour quelles raisons ?

Le Duc. — Supposez que les voleurs venaient du jardin ?

Le Juge, se relevant. — Je le suppose.

Le Duc. — Eh bien, au bout du jardin il y a une maison en construction.

Le Juge. — C’est vrai… Dites toute notre pensée, continuez.

Le Duc. — Si les cambrioleurs ont essayé d’effacer les traces de pas sur le tapis, ils ont oublié de les effacer là où se trouvaient les objets que dans leur hâte ils avaient fait tomber.

Le Juge. — Oui.

Le Duc. — Et si, en effet, les cambrioleurs sont entrés par la fenêtre, ou sortis par là… je ne serais pas étonné que… sous ce coussin…

Le Juge, vivement et reprenant la direction de l’enquête. — Vous ne seriez pas étonné de trouver une trace de pas ?

Le Duc. — Non.

Le Juge. — Vous ne seriez pas étonné, mais moi je suis sûr !

Le Duc. — Oh !

Le Juge. — J’en suis sûr. Et la preuve. (Il se baisse et soulève lentement le coussin.) Regardez… (Un silence. Il regarde le duc et d’un ton convaincu.) Vous vous êtes trompé, monsieur le duc, il n’y a rien.

Le Duc. — Enfin, il y a toujours un guéridon qui enjambe cette fenêtre.

Le Juge. — Et une échelle, monsieur ! Et cette échelle vient de la maison en construction ! Je poursuivrai l’enquête de ce côté.

L’Agent, entrant. — Monsieur le juge, ce sont les domestiques qui arrivent de Bretagne.

Le Juge. — Qu’ils attendent dans la cuisine et dans les offices. (L’agent sort. Le juge à qui le greffier a remis des papiers qu’il consulte, au duc.) Ah ! j’ai quelques petites questions à vous poser, monsieur le duc… (Les yeux sur le rapport.) J’ai vu qu’hier soir, au château, avant même l’escroquerie des automobiles, vous aviez déjà surpris un vol, tout au moins une tentative de vol… Un des escrocs avait voulu prendre un pendentif.

Le Duc. — Oui, mais le malheureux suppliait. Alors, ma foi… Je le regrette maintenant.

Le Commissaire. — Est-ce que vous ne pensez pas, monsieur le juge, que cette escroquerie ait un rapport avec le cambriolage de cette nuit ?

Le Juge, convaincu. — Oh ! du tout, aucun. (Regardant le rapport.) Vous êtes arrivé à six heures et demie… et, naturellement, personne ne vous a ouvert quand vous avez sonné à l’hôtel ?

Le Duc. — Naturellement… Aussitôt, j’ai réveillé un serrurier. J’ai été chercher le commissaire et c’est avec eux que j’ai pénétré dans la maison. Je crois avoir bien fait, n’est-ce pas ?

Le Juge, sérieux. — Vous avez agi de la façon la plus correcte. Je vous en félicite. — Eh bien, maintenant, nous n’allons pas attendre Guerchard. Nous allons interroger les concierges.


Scène II

LE JUGE, LE COMMISSAIRE, LE DUC, LA CONCIERGE, LE CONCIERGE

« Le Juge. — Entrez, ne vous troublez pas, asseyez-vous. Voyons, vous êtes remis ? (Ils s’assoient tous les deux.) Vous êtes en état de répondre ?

» Le Concierge. — Oh ! oui… On nous a un peu bousculés, mais on ne nous a pas fait de mal.

» La Concierge. — On a même pris son café au lait !

» Le Concierge. — Oh ! oui !

» Le Juge. — Allons, tant mieux… Voyons, vous dites qu’on vous a surpris pendant votre sommeil, mais que vous n’avez rien vu ni rien entendu ?

» Le Concierge. — Dame ! on n’a pas eu le temps, ça a été fait… on n’aurait pas pu dire ouf !

» Le Juge. — Vous n’avez pas entendu des bruits de pas dans le jardin ?

» Le Concierge. — Oh ! monsieur le juge, de notre loge, on n’entend rien du jardin !

» La Concierge. — Même la nuit, quand monsieur avait son chien, le cabot réveillait toute la maison, il n’y avait que nous qui dormions bien.

» Le Juge, à lui-même. — S’ils dormaient aussi bien, je me demande pourquoi on les a bâillonnés. (Aux concierges.) Voyons, vous n’avez pas entendu de bruit à la porte ?

» Le Concierge. — À la porte… ? Rien !