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ARSÈNE LUPIN

simples mots : « Ce n’est pas un vol, c’est une restitution. Vous nous avez bien pris la collection Wallace. »

Le Duc. — C’est une blague, n’est-ce pas ?

Sonia. — Non, monsieur le duc ! Et il a fait mieux. Vous vous souvenez de l’affaire de la banque Daroy, l’épargne des petits.

Le Duc. — Le financier qui avait triplé sa fortune au détriment d’un tas de pauvres diables, deux mille personnes ruinées ?

Sonia. — Parfaitement. Eh bien, Lupin a dévalisé l’hôtel de Daroy et lui a pris tout ce qu’il avait en caisse. Et il n’a pas gardé un sou de l’argent.

Le Duc. — Qu’est-ce qu’il en a fait ?

Sonia. — Il l’a distribué à tous les pauvres diables que Daroy avait ruinés.

Le Duc. — Mais c’est un grand philanthrope que votre Lupin.

Germaine. — Oh ! pas toujours. Exemple : l’histoire arrivée à papa.

Le Duc. — Ce vol-là n’est pas digne de votre héros. Mon portrait n’avait aucune valeur.

Germaine. — Aussi, si vous croyez qu’il s’en est contenté. Toutes les collections de papa ont été pillées.

Le Duc. — Les collections de votre père, mais elles sont mieux gardées qu’au Louvre. Votre père y tient comme à la prunelle de ses yeux.

Germaine. — Justement, il y tenait trop. C’est pourquoi Lupin a réussi.

Le Duc. — Il avait donc des complices dans la place ?

Germaine. — Oui… un complice.

Le Duc. — Qui ça ?

Germaine. — Papa.

Le Duc. — Hein ? Je ne comprends plus du tout.

Germaine. — Vous allez voir. Un matin, papa reçoit une lettre… attendez… (À Sonia.) Sonia, dans le secrétaire, le dossier Lupin.

Sonia. — Je vous l’apporte.

Elle va au secrétaire.

Le Duc, en riant. — Vous avez un dossier Lupin ?

Germaine. — Naturellement, une affaire pareille, nous avons tout gardé.

Sonia, qui a tiré du secrétaire un carton-chemise et qui en a sorti une enveloppe. — Voici l’enveloppe : « Monsieur Gournay-Martin, collectionneur, en son château de Charmerace. Ille-et-Vilaine. », Germaine remet l’enveloppe au duc.

Le Duc. — L’écriture est curieuse.

Germaine. — Lisez la lettre, lisez à haute voix.

Le Duc, lisant. — « Monsieur, excusez-moi de vous écrire sans que nous ayons été présentés, mais je me flatte que vous me connaissiez au moins de nom… Il y a dans la galerie qui réunit vos deux salons, un Murillo, d’excellente facture, et qui me plaît infiniment. Vos Rubens sont aussi de mon goût, ainsi que votre Van Dick. Dans le salon de droite, je note la crédence Louis XIII, la tapisserie de Beauvais, le guéridon Empire, la pendule signée Boulle et divers objets sans grande importance. Je tiens sur tout à ce diadème que vous avez acheté à la vente de la marquise de La Ferronaye et qui fut porté naguère par la malheureuse marquise de Lamballe. Ce diadème a pour moi un grand intérêt… d’abord, les souvenirs charmants et tragiques qu’il évoque pour un poète épris d’histoire, ensuite, mais est-ce la peine de parler de ces choses-là, sa valeur intrinsèque ? J’estime en effet que les pierres de votre diadème valent, au bas mot, cinq cent mille francs.

Germaine. — Au moins.

Le Duc, continuant. — « Je vous prie, monsieur, de faire emballer convenablement ces divers objets, et de les expédier en mon nom, port payé, en gare des Batignolles, avant huit jours. Faute de quoi je ferai procéder moi-même à leur déménagement dans la nuit du mercredi 27 au jeudi 28 septembre. Veuillez excuser le petit dérangement que je vous cause, et agréez, je vous prie, monsieur, l’expression de mon entier dévouement. Signé

Arsène Lupin. » C’est drôle ! j’avoue que c’est drôle ! Et votre père n’a pas ri ?

Germaine. — Ri ! Ah ! si vous aviez vu sa tête… Il a pris cela au tragique.

Le Duc. — Pas au point d’expédier les objets en gare des Batignolles, j’espère.

Germaine. — Non, mais au point de s’affoler, et comme nous avions lu dans un journal de Rennes que Guerchard, le célèbre policier, le seul adversaire vraiment digne d’Arsène Lupin se trouvait dans cette ville, papa nous y entraîne ; en dix minutes on tombe d’accord, la nuit du 27 arrive, Guerchard avec deux inspecteurs de confiance s’installe dans ce hall où se trouvaient alors les collections. La nuit se passe très tranquille… rien d’insolite… pas un seul bruit… Dès l’aurore nous nous précipitons.

Le Duc. — Eh bien ?

Germaine. — Eh bien, c’était fait.

Le Duc. — Quoi ?

Sonia. — Tout !

Le Duc. — Comment tout ? Les tableaux ?

Germaine. — Enlevés !

Le Duc. — Les tapisseries ?

Sonia. — Plus de tapisseries.

Le Duc. — Et le diadème ?

Germaine. — Ah ! non ! Il était au Crédit lyonnais, celui-là. C’est sans doute pour se dédommager, qu’il a pris votre portrait, car Lupin n’avait pas annoncé ce vol-là dans sa lettre.

Le Duc. — Mais voyons, c’est invraisemblable. Il avait donc hypnotisé Guerchard, ou il lui avait fait respirer du chloroforme.

Germaine. — Guerchard ? Mais ça n’avait jamais été Guerchard.

Le Duc. — Comment ?

Sonia. — C’était un faux Guerchard. C’était Lupin.

Le Duc. — Alors, ça, vraiment, ce n’est pas mal. Quand il a appris cette histoire, qu’a fait le vrai Guerchard ?

Sonia. — Il en a fait une maladie.

Germaine. — Et c’est depuis ce temps-là qu’il a voué à Lupin une haine mortelle.

Le Duc. — Et l’on n’a jamais pu remettre la main sur le faux Guerchard ?

Germaine. — Jamais. Pas l’ombre d’une trace. Nous n’avons de lui qu’une lettre et cet autographe… Elle désigne la signature de Lupin derrière la tapisserie écartée.

Le Duc. — Fichtre ! C’est un habile homme.

Germaine, riant. — Très habile ! et quand il serait dans le voisinage, cela ne me surprendrait qu’à moitié.

Le Duc. — Oh !

Germaine. — Je plaisante, mais on a changé des objets de place ici. Tenez, cette statuette… Et on ne