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L’ILLUSTRATION THÉÂTRALE

sait pas qui… Et de plus, on a cassé ce carreau, juste à la hauteur de l’espagnolette.

Le Duc. — Tiens ! Tiens !

Firmin, entrant. — Mademoiselle reçoit ?

Germaine. — Firmin ! C’est vous qui êtes à l’anti-chambre ?

Firmin. — Dame, faut ben, mademoiselle. Tous les domestiques sont partis pour Paris… La visite peut-elle pénétrer ?

Le Duc, riant. — Pénétrer ! Firmin, vous êtes épatant !

Germaine. — Qui est-ce ?

Firmin. — Deux messieurs. Ils ont dit qu’ils avaient prévenu.

Germaine. — Deux messieurs ? Qui ça ?

Firmin. — Ah ! je n’ai pas la mémoire des noms.

Le Duc, riant. — C’est commode…

Germaine. — Ce n’est pas les deux Charolais au moins ?

Firmin. — Ça ne doit pas être ça.

Germaine. — Enfin, faites entrer.

Firmin sort.

Le Duc. — Charolais ?

Germaine. — Oui. Figurez-vous que tout à l’heure, on nous a annoncé deux messieurs, j’ai cru que c’était Georges et André Dubuit, oui, ils nous avaient promis de venir prendre le thé tout à l’heure. Je dis à Alfred de les introduire… et nous avons vu surgir… (Elle se retourne et voit Charolais et son fils.) Oh !


Scène IV

Les mêmes, CHAROLAIS et ses trois fils

Charolais père. — Mademoiselle, mes civilités !

Il salue. Le fils salue également et démasque un troisième individu.

Sonia, à Germaine. — Tiens, il y en a un de plus

Charolais père, présentant. — Mon second fils, établi pharmacien.

Le second fils salue.

Germaine. — Monsieur, je suis désolée… Mon père n’est pas encore rentré.

Charolais père. — Ne vous excusez pas… il n’y a pas de mal.

Ils s’installent.

Germaine, un instant de stupeur et un coup d’œil à Sonia. — Il ne rentrera peut-être que dans une heure. Je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps.

Charolais père. — Oh ! il n’y a pas de mal. (Avisant le duc.) Maintenant, en attendant… si monsieur est de la famille, on pourrait peut-être discuter avec lui le dernier prix de l’automobile.

Le Duc. — Je regrette, ça ne me regarde en aucune façon.

Firmin, entrant, et s’effaçant devant un nouveau visiteur. — Si monsieur veut pénétrer par ici…

Charolais. — Comment ! Te voilà ! Je t’avais dit d’attendre à la grille du parc.

Bernard Charolais. — Je voulais voir l’auto aussi.

Charolais père. — Mon troisième fils. Je le destine au barreau.

Bernard salue.

Germaine. — Ah çà ! mais combien sont-ils ?

La Femme de chambre. — Monsieur vient d’arriver, mademoiselle.

Germaine. — Eh bien, tant mieux. (À Charolais.) Si vous voulez me suivre, messieurs, vous allez pouvoir parler à mon père tout de suite.

Pendant ce temps, Charolais et ses fils se sont levés. Bernard est resté debout près de la table. Germaine sort suivie par Charolais et ses deux fils. Bernard, qui parait admirer le salon, empoche deux objets qui sont sur la table et va pour sortir.

Le Duc, vivement, à Bernard. — Non, pardon, jeune homme.

Bernard Charolais. — Quoi ?

Le Duc. — Vous avez pris un porte-cigarettes.

Bernard Charolais. — Moi, mais non. (Le duc empoigne le bras du jeune homme et fouille dans la casquette qu’il tient à la main. Il en sort le porte-cigarettes. Feignant la stupeur.) C’est… C’est… par mégarde.

Il veut sortir.

Le Duc, le retenant, sortant un écrin de la poche intérieure de Bernard. — Et ça, c’est par mégarde aussi ?

Sonia. — Mon Dieu ! le pendentif !

Bernard Charolais, avec égarement. — Pardonnez-moi, je vous en supplie, ne me trahissez pas.

Le Duc. — Vous êtes un petit misérable !

Bernard Charolais. — Je ne recommencerai plus jamais… par pitié… si mon père savait… par pitié…

Le Duc. — Soit !… pour cette fois… (Le poussant vers la porte.) Allez au diable !

Bernard, sort en répétant. — Merci… merci… merci…


Scène V

SONIA, LE DUC

Le Duc. — C’est en effet là qu’il ira ce petit… il ira loin. Ce pendentif… c’eût été dommage !… Il le pose sur le chiffonnier.) Ma foi, j’aurais dû le dénoncer.

Sonia, vivement. — Non, non, vous avez bien fait de pardonner.

Le Duc. — Qu’avez-vous donc ? Vous êtes toute pâle !

Sonia. — Ça m’a bouleversée… le malheureux enfant !

Le Duc. — Vous le plaignez ?

Sonia. — Oui, c’est affreux. Il avait des yeux si terrifiés et si jeunes… et puis être pris là… en volant… sur le fait… Oh ! c’est odieux.

Le Duc. — Voyons, voyons… que vous êtes impressionnable !…

Sonia, toute émue. — Oui. c’est bête… seulement… vous avez remarqué ses yeux, ses yeux traqués ? Vous avez eu pitié, n’est-ce pas ? Vous êtes très bon, au fond.

Le Duc, souriant. — Pourquoi… au fond ?

Sonia. — Je dis « au fond », parce que votre apparence est ironique, et votre abord si froid ! Mais souvent c’est le masque de ceux qui ont le plus souffert, et ce sont les plus indulgents.

Le Duc. — Oui.

Sonia, très lentement, avec des silences, des hésitations. — Parce que quand on souffre, n’est-ce pas, alors on comprend… enfin on comprend…

Un temps.

Le Duc. — Vous souffrez donc bien ici ?

Sonia. — Moi ? Pourquoi ?

Le Duc. — Votre sourire est désolé, vous avez des yeux inquiets et peureux… vous êtes comme un petit enfant qu’on voudrait protéger… (Il s’avance de deux pas vers Sonia et lentement, doucement.) Vous êtes toute seule dans la vie ?