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ARSÈNE LUPIN

picotin et ma gourde de rhum. Avec ça, le malandrin peut venir.

Le Duc. — Bravo, Firmin.

Firmin, résolu. — Le premier qui arrive, je lui tire dessus… Ah ! mais…

Le Duc. — En attendant, fermez les volets, je vais vous aider.

Firmin, allant à la terrasse et fermant les volets avec le duc. — Drôle d’idée tout de même qu’a eue le patron ! Pourquoi qu’il est allé à la gare !

Le Duc. — Probablement pour prendre le train.

Firmin. — Pas pour Paris, toujours, il n’y en a point.

Le Duc, du dehors. — Tirez donc plus fort… Il y a un train à huit heures douze.

Firmin. — Non point. Nous sommes le 3 septembre, c’est fini à partir de septembre.

Le Duc. — Vous radotez. J’ai consulté l’indicateur.

Firmin. — Et il y a ça dans l’indicateur ?

Jean, entrant. — Les pneus sont posés, monsieur le duc. Seulement… il ne fait pas un temps de chrétien.

Le Duc. — Ah ! j’en ai bien vu d’autres. (Il met son manteau d’automobile, aidé par Jean.) Vous resterez ici. Vous vous installerez dans l’aile gauche du château.

Jean. — Oui, M. Gournay-Martin m’a expliqué. Il y a donc du danger pour cette nuit ?

Le Duc. — Oh ! Je ne crois pas. M. Gournay-Martin était un peu affolé… mais enfin, à tout hasard, il vaut mieux être armé.

Jean. — J’ai là mon revolver, monsieur le duc.

Le Duc. — Parfait. Vous pouvez allumer les phares. J’arrive tout de suite. (Jean sort.) Voyons, j’ai tout ?… Eh bien, Firmin, je vous laisse… Vous avez votre gourde, votre fusil et votre picotin. Vous êtes un vieux militaire. Vous n’avez pas peur, hein ?

Firmin. — Non, pas encore.

Le Duc. — Firmin, vous êtes épatant ! Allons, bon courage, hein ! bon courage.

Il sort.


Scène X

FIRMIN, seul.

Firmin, seul, à jouer, lentement, sensation de la peur. — Huit heures douze ! Qu’est-ce que ça prouve, moi je sais bien qu’à partir de septembre… Il y a trop de lumière, ça se glisse à travers les volets… ça peut attirer le malandrin… (Il baisse l’électricité.) C’est égal, ça n’est pas prudent de laisser comme ça un homme tout seul, dans un château… Ils n’auraient qu’à venir et me bâillonner comme Jean tout à l’heure. Il y a du danger… J’aurais dû demander à ma femme de me tenir compagnie… Enfin, j’ai mon picotin, et j’ai le talon dans l’estomac. (Il déploie tout sur la table et, se versant un verre de vin.) Mais quel orage ! C’est-y permis de tonner comme ça ! C’est à peine si, avec le bruit du ciel, on entendrait venir le malandrin. (Il commence à manger. On entend un bruit lointain. Il se lève effaré.) Nom de nom ! le voilà, le malandrin ! On marche, là ! (Il prend son fusil. On frappe au volet.) On a frappé. (On frappe.) Oh ! que j’ai peur : je n’ai pas eu peur comme ça depuis la guerre de 70… Nom de nom ! Ils n’auront pas ma peau. (On essaye d’ouvrir la porte.) Les malandrins, ils vont crocheter les volets. Qui va là ?

Une Voix. — Ouvrez.

Firmin. — Allez-vous-en ou je tire !

Une Voix. — Firmin, voulez-vous ouvrir ?

Firmin. — Comment qu’ils connaissent mon nom ?

Une Voix. — Voulez-vous ouvrir, nom de nom ! il tombe des seaux d’eau, ouvrez donc !

Firmin. — Comment, mais c’est la voix du patron !

Il donne la lumière et va ouvrir.


Scène XI

GOURNAY-MARTIN, GERMAINE, SONIA KRITCHNOFF, IRMA, avec un parapluie retourné.

Tous sont mouillés, dans un état lamentable.

Gournay-Martin, se précipitant. — L’indicateur ! Où est l’indicateur ? je vais porter plainte.

Il éternue.

Germaine. — Ah ! quelle soirée ! Pas de train avant minuit. Il va falloir passer quatre heures ici. Enfin, il y a à manger.

Elle s’assoit.

Gournay-Martin. — Huit heures douze, tenez, huit heures douze. Ça y est bien. Vous êtes témoins. Et c’est là dans l’indicateur officiel. Je vais porter plainte.

Germaine. — Oh ! quelle horreur ! On a bu dans ce verre-là !

Firmin. — Dame, c’est mon picotin.

Gournay-Martin, qui examine toujours l’indicateur. — Nom de nom !

Germaine et Sonia, cette dernière s’est à son tour attablée et a tiré de sa valise un gobelet et un couvert de voyage. — Hein ?

Gournay-Martin. — Cet indicateur, savez-vous de quand il date ?

Firmin. — Moi je le sais, monsieur.

Gournay-Martin, furieux. — Comment, vous le savez ?

Firmin. — Bien sûr, c’est mon indicateur, il date de l’Exposition.

rideau

Firmin : « C’est mon indicateur, il date de l’Exposition ! »