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ARSÈNE LUPIN

ce que mademoiselle ne l’avait pas laissé sur le chiffonnier ?

Le Juge. — Comment savez-vous ça ?

Irma. — Parce que mademoiselle, en partant, a crié à monsieur le duc d’emporter l’écrin. Même que j’ai fait la réflexion que c’était peut-être Mlle Kritchnoff qui aurait pu le mettre dans son sac.

Le Duc, vivement.Mlle Kritchnoff !… Dans quel but ?

Irma. — Dans le but de le rapporter pour mademoiselle.

Le Juge. — Et pourquoi aviez-vous pensé cela ?

Irma. — Parce que j’avais vu Mlle Kritchnoff devant le chiffonnier.

Le Juge. — Ah ! et c’est sur le chiffonnier qu’était le pendentif ?

Irma. — Oui, monsieur.

Un silence.

Le Juge. — Vous êtes au service de mademoiselle depuis longtemps ?

Irma. — Depuis six mois, monsieur.

Le Juge. — C’est bien, vous pouvez vous retirer… Non, par ici, j’aurai peut-être besoin de vous tout à l’heure. (Sort Irma à droite. Au commissaire.) Nous allons interroger Mlle Kritchnoff.

Le Duc, vivement.Mlle Kritchnoff est au-dessus de tout soupçon.

Germaine. — Oui, c’est mon avis.

Le Juge.Mlle Kritchnoff est entrée chez vous depuis combien de temps, mademoiselle ?

Germaine, réfléchissant. — Tiens.

Le Juge. — Quoi donc ?

Germaine. — Il y a précisément trois ans.

Le Juge. — Précisément au moment où les vols ont commencé ?

Germaine. — Oui.

Sensation.

Le Juge, à l’agent. — Priez Mlle Kritchnoff de venir.

L’Agent. — Bien, monsieur.

Le Duc. — Non, je sais où elle est, je vais la chercher. Il va pour sortir.

Guerchard, apparaissant au haut de l’échelle. — Ah !… mais non !…

Tous, se retournant. — Hein ?

Guerchard, à l’agent. — Agent, allez-y !

Sort l’agent.

Le Duc. — Pardon, mais…

Guerchard, descendant de l’échelle. — Ne vous froissez pas, monsieur le duc… mais monsieur le juge est de mon avis ; ce serait tout à fait irrégulier.

Il va vers le juge et lui donne la main.

Le Duc, se rapprochant. — Mais, monsieur…

Guerchard. — Monsieur Guerchard, inspecteur principal de la Sûreté.

Le Duc. — Ah ! enchanté. Nous vous attendions avec impatience.

Ils se donnent la main.

Le Juge. — Que faisiez-vous donc sur cette échelle ?

Guerchard. — J’écoutais… Et je vous félicite. Vous avez mené l’enquête d’une façon remarquable. Nous différons d’avis sur deux ou trois petits points… mais c’est remarquable. (Saluant.) Monsieur Gournay-Martin, mon cher commissaire…

Ils s’installent autour de la table. L’agent de police entre et vient dire quelques mots au juge.

Le Juge, surpris, bas. — Elle sortait donc ?

L’Agent. — Elle demandait à sortir.

Le Juge, bas. — Montez dans sa chambre et fouillez sa malle.

Guerchard, qui a entendu. — Ce n’est pas la peine.

Le Juge. — Ah ! (Il répète à l’agent d’un ton vexé.) Ce n’est pas la peine.


Scène V

Les mêmes, SONIA

Sonia est entrée. Elle a gardé son costume de voyage et son manteau sur le bras. Elle s’arrête, étonnée.

Le Juge. — Approchez, mademoiselle. (Commençant l’interrogatoire.) Mademoiselle…

Guerchard, doucement, avec tant de déférence que le juge ne peut refuser. — Voulez-vous me permettre ? (Le juge, furieux, s’efface et tourne le dos. Guerchard, à Sonia, avec bonhomie.) Mademoiselle, il se passe un fait sur lequel monsieur le juge a besoin de quelques renseignements. On a volé le pendentif que monsieur le duc a donné à mademoiselle Gournay-Martin.

Sonia. — On a volé !… vous êtes sûr ?

Guerchard. — Absolument. Le vol s’est produit dans des conditions très déterminées. Mais nous avons tout lieu de supposer que le coupable, pour n’être pas pris sur le fait, a caché le bijou dans le sac ou la valise d’une autre personne, de sorte que…

Sonia, vivement. — Ma valise est dans ma chambre, monsieur, voici la clef.

Pour prendre la clef dans son sac elle dépose son vêtement sur le canapé. Il glisse à terre. Le duc, qui ne l’a pas quittée des yeux, s’approche, ramasse le vêtement, fouille dans les poches, en retire un papier de soie, le déplie, trouve le pendentif, remet le papier, pose le vêtement et s’éloigne.

Guerchard. — C’est absolument inutile. Vous n’avez pas d’autres bagages ?

Sonia. — Si, ma malle… elle est là-haut, ouverte.

Guerchard. — Mais vous alliez sortir, je crois ?

Sonia. — Je demandais la permission… deux ou trois courses à faire.

Guerchard. — Monsieur le juge, vous ne voyez aucun inconvénient à laisser sortir mademoiselle ?

Le Juge. — Aucun.

Guerchard, à la jeune fille qui s’éloigne. — Vous n’emportez que ce sac ?

Sonia, le lui tendant. — Oui… j’ai là mon argent… mon mouchoir.

Guerchard, plongeant son regard dans le sac. — Inutile. Je ne suppose pas qu’on ait eu l’audace… (Sonia va pour sortir. Elle fait un pas, hésite, puis revient et prend son vêtement. Guerchard, vivement.) Voulez-vous me permettre ?

Sonia. — Merci, je ne le mets pas.

Guerchard, doucereux et tout en insistant. — Oui… mais on a pu… avez-vous bien regardé dans les poches ?… Tenez, on dirait que celle-ci…

Sonia, effrayée, mettant sa main crispée sur la poche. — Mais, monsieur, c’est abominable… Quoi !… vous avez l’air…

Guerchard. — Je vous en prie, mademoiselle, nous sommes parfois obligés…

Le Duc, sans bouger, la voix nette. — Mademoiselle Sonia, je ne vois pas en quoi cette petite formalité peut vous déplaire.

Sonia. — Mais…