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ARSÈNE LUPIN

ça là… Si nous avons à filer, c’est plus sûr… puis, si jamais on me pince, je ne veux pas que ce gredin de Guerchard m’accuse d’avoir tué le duc. Je n’ai encore assassiné personne !

Victoire, qui a été chercher le paletot et le chapeau de Lupin. — Ça, pour ce qui est du cœur…

Charolais père. — Pas même le duc de Charmerace, et, quand il était si malade c’était si facile, une petite potion…

Lupin, s’habillant pour sortir. — Tu me dégoûtes !

Charolais père. — Au lieu de ça, vous lui avez sauvé la vie.

Lupin, même jeu. — C’est vrai. Je l’aimais bien ce garçon-là. D’abord, il me ressemblait. Je crois même qu’il était mieux que moi.

Victoire. — Non. C’était pareil. On aurait dit deux frères jumeaux.

Lupin. — Ça m’a donné un coup la première fois que j’ai vu son portrait… tu te souviens, il y a trois ans, le jour du premier cambriolage chez Gournay-Martin…

Charolais père. — Si je me souviens !… C’est moi qui vous l’ai signalé. Je vous ai dit : « Patron, c’est vous tout craché ! » Et vous m’avez répondu : « Il y a quelque chose à faire avec ça… » C’est alors que vous êtes parti pour les neiges et les glaces, et que vous êtes devenu l’ami du duc, six mois avant sa mort.

Lupin. — Pauvre Charmerace ! C’était un grand seigneur ! Avec lui un beau nom allait s’éteindre… je n’ai pas hésité, je l’ai continué… (Consultant sa montre et d’une voix posée.) Sept heures et demie… J’ai le temps de passer rue Saint-Honoré prendre mon viatique.

Victoire. — Grand Dieu ! Toujours cette idée !

Lupin. — Ah ! je file !

Victoire, vivement. — Sans même un déguisement ? Sans même regarder au dehors si t’es pas épié ?

Lupin. — Non, je serais en retard. La petite Gournay-Martin pourra, un jour, me reprocher une certaine muflerie. Je n’y ajouterai pas une incorrection.

Charolais père. — Mais…

Lupin. — Je n’ai jamais fait attendre les femmes… Victoire, range le diadème… tiens, dans ce tabouret.

Il sort.

Victoire. — C’est un chevalier. Il y a quelques années, il aurait fait la croisade… au jour d’aujourd’hui, il barbote des diadèmes. Si c’est pas malheureux !

Elle se baisse, ouvre un petit tabouret et cache le diadème.

Charolais père. — Il est capable de tout avouer à la petite, par chic. On n’a que le temps de faire ses paquets, allez !

Victoire. — Oui. Il y a un bon Dieu ! Et ça finira mal. (Ils vont pour sortir. On sonne au vestibule. Avec effroi.) On a sonné.

Charolais père. — Filez ! J’ouvre.

Elle sort. Il passe dans le vestibule. La scène reste vide.


Scène IV

BOURSIN, CHAROLAIS PÈRE, DIEUSY, puis LUPIN

Charolais père, dans l’antichambre. — Vous ne pouviez pas monter par l’escalier de service ?

Boursin, apparaissant déguisé en chasseur de l’hôtel Ritz. — Je ne savais pas, moi.

Charolais père. — Donnez-moi la lettre.

Boursin. — Je dois la remettre en mains propres à M. le duc.

Charolais père. — Alors, attendez son retour… M. le duc est parti chez vous, au Ritz. Ah ! non, pas là… Attendez dans l’antichambre.

Il le repousse dans l’antichambre, ferme la porte, traverse la scène et va rejoindre Victoire. Boursin passe la tête avec précaution, regarde, ressort, va ouvrir la porte d’entrée et appelle.

Boursin. — Dieusy !

Dieuzy, entrant. — Dis donc, Boursin, le téléphone de la petite a bien pris, hein ?… Il est parti au Ritz.

Boursin. — Dans son auto !… Il sera rentré dans cinq minutes. Reste-là ! Je vais couper le fil du téléphone.

Il le coupe.

Dieuzy, lui montrant la valise. — Eh ! Boursin ! La valise !… Il doit y avoir gras là dedans !…

Boursin, courant vers la valise. — Oui, peut-être… (Bruit à la porte de droite.) Trop tard ! Fais ce qui est convenu !

Ils sortent. Charolais père entre avec des journaux qu’il dépose sur la table. Coup de feu du côté de l’antichambre, mais en dehors.

Charolais père. — Hein ?… (Bondissant, il ouvre la porte, traverse l’antichambre où l’on aperçoit Boursin assis, et disparait laissant la porte ouverte. Boursin se lève en hâte, court vers la valise, prend le portefeuille et le glisse sous son dolman. Charolais rentrant.) Personne !… Qu’est-ce que ça veut dire ? (À Boursin.) Ta lettre, toi… tu nous embêtes !…

Il prend la lettre. Boursin va pour sortir. À ce moment, Lupin entre par la porte de droite. Il a une petite boite en carton sous le bras.

Lupin. — Qu’est-ce que c’est ?… (Il dépose la boite sur la table.) Ah ! du Ritz, un contre-ordre, probablement… On ne m’a pas reçu, là-bas !

Boursin. — J’ai remis la lettre… une lettre de M. Gournay-Martin.

Lupin. — Ah ! (Boursin va pour sortir.) Un instant… vous êtes bien pressé…

Boursin. — On m’a dit de revenir tout de suite.

Lupin, qui a décacheté la lettre. — Non… Il y a une réponse.

Boursin. — Bien, monsieur.

Lupin. — Attendez là… (À Charolais père.) C’est de la petite : « Monsieur… M. Guerchard m’a tout dit, à propos de Sonia, je vous ai jugé : un homme qui aime une voleuse ne peut être qu’un fripon… » Elle manque de tact… « À ce propos, j’ai deux nouvelles à vous annoncer : la mort du duc de Charmerace, mort d’ailleurs depuis trois ans ; mes projets de fiançailles avec son cousin et seul héritier, M. de Relzières, lequel relèvera le nom et les armes… Pour Mlle Gournay-Martin, sa femme de chambre, Irma. » Hum ! (À Boursin qui s’est avancé peu à peu vers la sortie.) Restez donc là, mon ami. (À Charolais père.) Écris, toi ! (Il lui dicte.) « Mademoiselle, j’ai une constitution extrêmement robuste, et mon malaise ne sera que passager. J’aurai l’honneur d’envoyer cet après-midi à la future Mme de Relzières mon humble cadeau de noces… Pour Jacques de Bartut, marquis de Relzières, prince de Virieux, duc de Charmerace, son maître d’hôtel, Arsène. »

Charolais père, stupéfait. — Faut écrire Arsène ?